L’hôtel Tahara’a de la côte Est de Tahiti, a été construit le long du flanc de la montagne. Ainsi le rez-de-chaussée est en haut de la butte et le douzième étage tout à fait en bas. Là où était le marae. Là où rôde encore la dame blanche.

Aucun employé n’ose descendre au douzième la nuit. Ni les ména­gères, ni le mécanicien. Car la machinerie des ascenseurs se trouve aussi au douzième. Si une panne se produit la nuit, ce ne sera pas réparé avant le matin, ils prendront l’escalier. Mais le tupapau est sélectif : il ne se montre qu’aux employés ou aux locaux. Jamais aux touristes. Mais ceux-ci se plaignent quand même. Pas de service, pas de ménage après la tombée de la nuit.

Un directeur en avait assez d’entendre les clients se plaindre. Il décida d’employer les grands moyens pour régler ce problème. Il fit paraître une annonce dans les journaux de Suisse :

« Offrons poste de gouvernante pour grand hôtel à Tahiti. Cherchons dame sérieuse et qualifiée ne croyant pas aux fantômes, etc. »

Elle arriva un mois plus tard. Elle était des plus qualifiées. Triée sur le volet.. C’était une dame helvétique de forte corpulence. Son chignon impec­cable faisait aussi sévère que les traits de son visage. Elle claquait les talons en marchant. Pas de sourire. Cela aurait été un signe de faiblesse. On ne pouvait trouver plus efficace. Plus propre. Plus net. Elle fut comme une tornade avec les filles. Les ordres fusaient. Elle était partout. Elle n’était jamais contente. Les ménagères commencèrent à courir. Du jamais vu. Les chambres étaient astiquées. Les lavabos brillaient comme des miroirs. Le directeur se frottait les mains de plaisir.

Le deuxième soir, elle donna des ordres : « Faire les couvertures  dans les étages. Une équipe au douzième ».

Entendant cet ordre, toutes les filles s’arrêtèrent net. Pas question de descendre là-bas. Refus sec de toute l’équipe. C’était la mutinerie. Les filles ne descendraient pas. Mais la Suissesse n’abandonna pas. Elle allait leur montrer. À ces primitifs, à ces crédules. Les fantômes, ça n’existe pas, voyons. Elle descendrait elle-même ouvrir les lits. Ensuite, il n’y aurait plus d’excuses. Les filles seraient bien obligées de se plier.

Elle se dirigea vers l’ascenseur avec seau et balai, claquant les talons. Les filles la suivaient. La suppliaient de ne pas descendre. L’imploraient de les écouter. Sans répondre, la tête haute, le visage méprisant, elle disparut dans l’ascenseur. Les filles durent attendre vingt minutes. Terrifiées. Certaines pleuraient, se sentaient responsables. Elles avaient pitié de la dame, même si elle était trop sévère. Elles imaginaient les pires choses.

Puis l’ascenseur remonta. La porte s’ouvrit. La dame suisse en sortit. Blême. Blanche comme un linceul. Sans balai. Sans un mot, comme un automate, elle se dirigea vers sa chambre. Là, elle fit ses valises. Puis elle partit vers la réception pour prendre un taxi pour l’aéroport. Toujours blême. Toujours sans un mot. C’est là-bas, à deux heures du matin, dans le hall désert de l’aérogare, que le directeur la trouva. Toute seule sur un banc, les yeux fixés tout droit devant elle. Il la questionna, la supplia de rester. Elle ne répondit pas. Elle resta immobile et silencieuse. Comme une statue.

Elle quitta Tahiti le lendemain matin par le premier avion.


 

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