C’est à l’époque de l’arrivée de l’Évangile à Rurutu que fut capturée la dernière femme cannibale, Hina. Elle se nourrissait de chair humaine, vivait dans une cavité secrète et avait une allure diabolique. Elle refusait toute réintégration dans le monde civilisé, celui où on s’habillait, on mangeait et on se logeait selon certains principes d’éducation que les missionnaires protestants anglais avaient inculqué aux paroissiens.

Elle vivait dans la montagne auprès du Taatio à Rurutu dans une grotte appelée Rua o ‘ina (le trou de Hina).

Des enfants disparaissaient

L’époque de Hina fut marquée par la disparition d’enfants et de quelques adultes dont on ne retrouvait même plus les restes corporels. Les parents et familles des disparus effectuèrent des recherches mais on restait sans nouvelles de ces disparus.

Les jours passaient et les souvenirs hantaient les esprits quand il advenait qu’un enfant, seul, était envoyé sur la montagne couper des roseaux pour faire des torches d’éclairage, les villageois étaient convaincu de ne plus le revoir. Si, en revanche, trois enfants y allaient ensemble, on était sûr de les retrouver, sains et saufs, avec leurs paquets de roseaux. Il en allait de même pour les grandes personnes.

Pendant que les villageois s’inquiétaient de l’échec de leurs recherches, Hina continuait de dévorer ses proies. Face à ce mystère, les villageois pressentaient l’existence d’un individu dangereux sans pour autant penser qu’un cannibale puisse encore exister sur leur terre et leurs efforts demeurèrent peine perdue. Des années passèrent durant lesquelles Hina continua à se nourrir d’êtres humains sans que les villageois puissent y remédier. Ils se résignèrent et les disparitions de personnes finirent par ne plus être une préoccupation du quotidien.

Ainsi, à la demande du Chef du village de ne plus envoyer d’enfants sur la montagne en quête de roseaux, seules quelques familles suivirent le conseil.

Une étrange lueur dans la montagne

Un soir, un groupe de gens décida d’aller à la pêche aux mana’a (Ruvettus). Ils se préparèrent et partirent. Ils pêchaient depuis un bout de temps lorsque l’un d’entre eux aperçut du feu sur la montagne. Il en fit part à ses compagnons leur disant :

« Quelle est donc cette étrange chose à côté du Taatioe ? S’agit-il d’un feu ou tout simplement est-ce un fumeur ? ».

En observant davantage, un des pêcheurs remarqua qu’un fumeur aurait déjà fini sa cigarette tandis que ce qu’on voyait était réellement du feu. Ils repérèrent l’instant et et lieu du phénomène. Ce n’était pas un feu qui aveugle, ce qu’ils avaient vu était plutôt comme une lueur de tison.

Ni un homme, ni un diable

Ils descendirent un peu plus bas et voilà que l’un d’entre eux s’écria : « Il y a un trou ici qui paraît assez profond ! Apportez du feu pour éclairer ». Il y entra et aperçut une forme repliée sur elle-même, comme si c’était une personne. Il s’écria « C’est un diable ! » et s’enfuit.

A ce moment, arrivèrent les envoyés du village surpris de le voir courir. « Pourquoi t’enfuis-tu ? » lui demandèrent-ils. Encore sous le choc, il ne put répondre qu’au bout d’un long moment : « On dirait qu’il y a quelqu’un à l’intérieur ; si ce n’est pas un être humain, ce ne peut être qu’un diable ».

Un envoyé se pencha à. l’intérieur et cria : « Ce n’est ni un homme ni un diable, mais c’est bien une femme ».

Les envoyés l’invitèrent à sortir lui demandant ce qu’elle faisait dans cette grotte. Elle ne répondit pas, tourna en rond, alla d’un bout à l’autre pour, enfin, s’asseoir et les regarder. Ce fut ainsi qu’ils découvrirent que c’était une femme sauvage. Au début, ils pensèrent que c’était une originaire de Rurutu qui, s’étant fâchée après son mari, était partie se cacher dans la montagne mais ses longs ongles et sa façon de se vêtir, si différente des femmes de l’île, les confirma dans l’idée qu’il s’agissait bien d’une vraie sauvagesse.

Capture de Hina, la cannibale

Ils réfléchirent alors quant au moyen de la capturer. De l’avis général, une seule solution s’imposait, celle du filet. Ils regagnèrent le village pour informer la population. On répondit qu’on se doutait bien qu’elle était la cause de la disparition d’enfants et d’adultes survenus auparavant. Les villageois confectionnèrent des filets, l’un avec des fils de bourre de coco tressés et l’autre avec des fibres de purau.

A l’approche de la tombée de la nuit, ils pensèrent faire du feu dans la grotte : ils commencèrent à en faire juste un à l’entrée, d’autres jetèrent des flammèches à l’intérieur.

Ce fut à cet instant-là que Hina se leva tout en observant les étincelles l’atteindre. L’attente ne fut, pas longue : elle fonça vers l’extérieur malgré les tentatives d’approche d’une personne qui ne put la retenir, bondit et atterrit dans le filet qu’ils enroulèrent autour d’elle. Dans le filet, Hina se mit à découper les cordes à l’aide de ses longs ongles : un des hommes la surprit alors qu’elle y avait déjà fait un trou. Ils lui attachèrent les mains derrière le dos et l’emmenèrent à Avera où elle fut emprisonnée.

La prison d’antan consistait à mettre les deux pieds dans un tronc de cocotier. Hina fut privée de ses armes : ses longs ongles furent coupés.

Une cannibale aux doigts de fée

Tressage de peue (tapis) en pae'ore (feuilles de pandanus) © Olivier Babin / Tahiti Heritage

Tressage de peue (tapis) en pae’ore (feuilles de pandanus). Photo Olivier Babin

Les villageois la civilisèrent et lui donnèrent à manger : du taro et des poissons mais elle ne mangea pas ; pensant peut-être qu’elle n’avait pas faim, ils patientèrent. Le deuxième jour, ils lui renouvelèrent la nourriture : là non plus elle ne mangea pas. Un Sage fit remarquer que Hina ne se nourrissait pas de ces aliments mais d’êtres humains. Elle demeura ainsi sans manger, prostrée sur elle-même, les deux pieds dans le tronc du cocotier, jusqu’à sa mort.

Elle n’eut aucune réaction vis-à-vis des villageois qui ont essayé de la civiliser et de lui apprendre à parler. Elle était vraiment une pure sauvage.

Le fond de sa grotte était tapissé d’objets et de nattes tressées en pandanus sauvages. C’est en copiant ces objets tressés par Hina, la cannibale au doigts de fée, que les femmes de Rurutu sont devenues aujourd’hui expertes dans l’art du tressage.

NB : La mama des photos n’est pas la cannibale !


Légende de Hina, la femme cannibale de Rurutu en langue tahitienne : Te vahine taehae ‘e te rima raverave nō Rurutu


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Sources :

Pierre Verin, L’ancienne civilisation de Rurutu – ORSTOM 1969
Taaria Walker (dite Pare), Rurutu, Mémoires d’avenir d’une île Australe – Papeete : Haere Po, 1999.
Photos Olivier Babin