Non, cela ne s’est pas passé au moyen âge, mais en 1930 au Tuamotu.

Lorsque le médecin qui effectuait sa tournée annuelle est arrivé à Taenga un petit atoll des Tuamotu, il a examiné la jeune femme qui avait quelques tâches suspectes. « Cela pourrait être la lèpre » a-t-il dit à mi-voix. Il l’avait dit trop fort cependant. A peine était-il remonté à bord que le chef du village faisait saisir la femme « suspecte ». On l’arracha à son mari, à ses cinq enfants. On la mena de force dans une pirogue et on la jeta sur un motu (îlot) situé à 2 heures de bateau du village. Elle et son chien. On n’entendit ni ses pleurs, ni ses cris, ni l’animal épouvanté qui hurlait à la mort. Cette femme avait vingt-cinq ans…

Pendant six ans, elle vécue seule. Seule avec son chien. Dressé pour la pêche, il allait lui chercher sa misérable pitance. Chaque semaine cependant, une pirogue s’approchait du rivage maudit. Sans descendre, on lui jetait quelques vivres et un bidon d’eau.
 » La dernière fois, elle était entièrement rongée… Ses pieds ne la supportaient plus… Je lui ai laissé un peu de farine, mais qu’en fera-t-elle ? Ses doigts sont tellement pourris qu’en pétrissant la pâte, elle y laissera des morceaux de sa propre chair…  » raconta, les yeux pleins de larmes, l’homme qui la ravitaillait. » Un jour elle ne pourra plus se lever. Le chien aura faim, très faim, très faim… Il flairera l’agonisante  »

Vers la fin de ces six années, un médecin s’approcha en bateau du motu.  » J’ai eu le temps de compter les huit cocotiers qui en sont l’ornement ! Quelques arbustes rabougris les entourent : c’est tout. Une masure faite avec rien, pire, avec n’importe quoi. Elle est sortie et m’a crié « N’approche pas ! J’ai la lèpre… ». Je lui ai répondu :  » Qu’est-ce que tu veux que ça me foute : je suis toubib « . Alors elle m’a souri. Son premier sourire depuis tant d’années. Je lui ai remis ce que j’avais : quelques pansements, un peu d’aspirine. Les sulfones n’étaient pas encore arrivées en Océanie. Elle m’a supplié de l’emmener. Je ne pouvais pas. L’équipage refusait. L’équipage avait déclaré qu’il quitterait le bateau si elle y montait. Elle n’a pas eu de colère, pas même d’amertume. Elle m’a dit : Je comprends. Alors j’ai eu envie de lui demander pardon. Et quand je suis parti, il s’est passé quelque chose, quelque chose d’incroyable. Elle m’a crié : Ia Orana Ia Orana ! (Au revoir, Au revoir )… Puis elle a chanté la  » Marseillaise » !. Je serrais les poings pour ne pas pleurer… tandis que j’entendais, dans le silence bleu du Pacifique, la voix rauque qui s’élevait : Amour sacré de la Patrie… »

Cinq jours plus tard, le navire Tamara avec, à son bord l’ administrateur des Tuamotu M. Ahnne et un infirmier partait la récupérer. Et deux jours après, la lépreuse de Taenga débarquait sur un brancard à la Pointe Vénus en chantant la  » Marseillaise ». Et pendant tout le temps qu’elle chanta, le Colonel demeura au garde à vous, c’était un émouvant tableau. Après la Marseillaise, elle cria : « Merci la France, je suis sauvée. Merci, merci ! »

Enfin, elle arriva à la léproserie d’Orofara à Mahina et tous les malades lui souhaitèrent la bienvenue.

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Sources :

FOLLEREAU Raoul 1953 Tour du monde chez les lépreux Flamarion Paris p 134
Photos FOLLEREAU Raoul : La lépreuse de Taenga. Archives BAMBRIDGE