A l’inverse de Hina la femme cannibale, la sirène Orovaru accepte la civilisation à laquelle on la contraint d’adhérer. Elle mange et participe aux activités des terriens. Elle n’est coupable que de vols de taro. Mais elle reste étrange. Son domaine est l’Océan où elle survit grâce à ses ouïes. Pour donner naissance, il faut lui ouvrir le ventre. Après avoir engendré un enfant, elle retourne à son monde marin.

La voleuse de taro

Au temps où l’île de Rurutu était dirigée par Taneaura et Taneanea, les terres étaient divisées par groupes de descendance qui commencèrent à cultiver leur champ en y plantant toute sortes de légumes qu’ils trouvaient : du taro, du manioc, des ignames, des patates douces, et d’autres encore. Les cultures de subsistance poussèrent et produisirent d’abondance sur toutes les terres.

Un jour, les vols de taro commencèrent à Vaioivi. Les planteurs de taros pensèrent que cela ne se passait qu’entre eux. Mais, constatant la multiplication des vols, ils se dirent : « cela ne peut être que quelqu’un d’ailleurs ». Ils se réunirent pour essayer de trouver des moyens de capturer ce voleur et décidèrent de se répartir en petits groupes pour le guetter. Les groupes étaient constitués de trois hommes qui devaient veiller sur les tarodières pendant toute la nuit.

Le premier groupe entama, le soir même, la première veillée, sans succès. Le deuxième soir, ils aperçurent une femme dans un des champs qui déterrait les taro. Pour eux, c’était tout à fait normal ce travail était réservé aux femmes ; Rien ne laissait penser que c’était elle la voleuse, elle se faisait passer pour une des leurs. Le troisième soir, elle recommença. Ils décidèrent alors de la capturer. Pour cela, ils se rendirent dans le champ où elle venait de voler et lui demandèrent « Est-ce bien à toi les taro que tu viens d’arracher ? ». Elle ne répondit pas, prit ses taro et s’enfuit vers le rivage. Ils coururent après elle jusqu’à la falaise de Matonaa d’où elle plongea. Elle disparut de leur vue et ce ne fut qu’à ce moment-là qu’ils eurent la certitude que c’était bien elle la voleuse de taro.

Le piège se referme sur la voleuse

Ils regagnèrent le village pour annoncer à la population qu’ils venaient de trouver la voleuse. Ils confectionnèrent des filets : un filet avec des bourres de cocos tressées et un autre avec des cordes de purau. Ils attendirent qu’elle revint à la tarodière. Dix jours après, elle revint voler des taro. A son arrivée dans le champ, des hommes installèrent les filets à l’endroit même où elle avait plongé la dernière fois. Ils avertirent ceux qui étaient dans le champ que le piège était posé. Dès qu’elle entendit leur appel, elle s’enfuit, paquets de taro en mains, vers les profondeurs de la mer.

Dans son plongeon, Mama Orovaru (c’était son nom) atterrit dans les filets, tourna sur elle même avec ses paquets de taro afin de pouvoir s’échapper, mais ils l’enroulèrent dans les filets et l’amenèrent sur la plage. De là, elle fut conduite au village pour être retenue par force et être «civilisée».

La prison de nos ancêtres consistait en un tronc de cocotier qu’on transportait sur la place du village, à un endroit bien dégagé et en plein soleil. A l’intérieur de ce tronc étaient creusés des trous : deux par personne donc un trou pour chaque pied. Il ne fallait pas non plus que le trou fut trop large ou trop petit pour que le pied n’en souffrit ; il fallait que le dispositif fut bien fait pour pied car celui-ci équilibrait le tronc puisque un bois lui était posé dessus afin de pouvoir l’ajuster pour finalement l’attacher au tronc de cocotier. Le carcan devait mesurer entre cinq et dix mètres et restait exposé au soleil. Telle était la prison du temps de nos ancêtres ; les prisonniers: ne pouvaient ni se lever ni se retourner, ils ne pouvaient que s’asseoir ou s’allonger sous le soleil.

Ce fut là que Mama Orovaru, apprit la langue rurutu et fut civilisée en si peu de temps. Dès qu’elle fut en mesure de maîtriser cette langue, ils l’interrogèrent sur son mode de vie et sur sa demeure.

La seule différence avec vous, précisa-t-elle, concerne le genre de séjour de ma race : nous pouvons vivre deux à trois jours sans émerger de l’océan ou bien demeurer plusieurs jours de suite sur terre. En comparaison, votre vie est bien meilleure que la nôtre où nous ne pourrions, malheureusement, pas vous suivre.

La délivrance

Alors, ses pieds furent détachés du tronc de cocotier mais pas les liens qui la retenaient constamment prisonnière, ce qui limitait ses déplacements.

Un jour, Mama Orovaru dut répondre aux interrogations des villageois concernant la cause de sa grossesse. Elle leur répondit « qu’elle était enceinte de son mari, qu’elle était sur le point de mourir et qu’elle sollicitait l’autorisation de rentrer chez elle pour se derniers jours si la population et le chef du village voulaient bien la laisser partir. Concernant le bébé, son mari serait là pour veiller sur lui ».

Les villageois lui demandèrent plus de précisions. Elle expliqua qu’on lui pratiquerait une césarienne pour récupérer l’enfant et qu’elle devait mourir pour lui laisser la vie sauve ; tel était le mode de vie de son genre. Elle renouvela sa demande de rentrer chez elles quand elle arriverait à terme.

Ils lui confirmèrent qu’aucun des deux n’allait mourir et qu’elle ne pourrait partir qu’après la naissance de l’enfant et avec la permission du chef du village. Ainsi pourrait-elle annoncer la bonne nouvelle à ses compatriotes que dans le cas de l’accouchement sur terre, ni la mère ni l’enfant ne meurent.

Mama Orovaru resta dans le doute quant à la teneur de cette information.

La naissance d’une lignée

Enfin, le grand jour arriva : elle mit au monde un garçon qu’on prénomma Tururaroiterai.

Quand elle l’apprit, Mama Orovaru fut remplie d’une joie immense et s’étonna de ce qu’il lui arrivait. Les villageois découvrirent alors, à ce moment-là, que Mama Orovaru avait les ouïes. Ils entrouvrirent la bouche du bébé, il en avait aussi. C’était l’explication du mode de vie sous-marin du peuple de Mania Orovaru.

Ils adoptèrent la maman et le bébé. Celui-ci grandit, se maria avec une femme de Rurutu et eut beaucoup d’enfants.

Un grand festin fut organisé pour le retour de Mama Orovaru. Elle partit heureuse : « C’est à Rurutu que j’ai eu des petits enfants», disait-elle. »

Voici les noms des enfants de Tururaroiterai : Tururai, Aivanaa, Aivana, Taitearii, Tehaametua, Vaitomino et Vaitomino. Ils furent les descendants de Mama Orovaru dans ce monde. Ils se sont multipliés et n’ont plus d’ouïes comme celles des poissons.


Les Orovaru, appelés Mokorea aux Tuamotu et aux îles du Vent, sont dans la mythologie polynésienne les habitants du monde de dessous.


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Sources :

Pierre Verin. Contes de Rurutu : La femme des abysses. Bull Société des Etudes Océaniennes n° 279/ 280 p 60 – déc 1998. (en VO et français)