Cette stèle complètement isolée en bordure du motu Putuahara de l’atoll de Anaa, commémore l’assassinat du gendarme Viry, mort en empêchant la tenue d’un culte mormon.

L’arrivée des mormons à Anaa

Le 1er mai 1845, le mormon américain Benjamin F. Grouard aborde l’atoll d’Anaa aux Tuamotu. En approchant du rivage, il voit la plage remplie d’insulaires «criant et caquetant comme un troupeau de dix mille oies sauvages.» «Les cris sauvages de ces fils à moitié civilisés de l’océan» lui font très peur et «il me semblait, écrit-il, que j’avais pour ainsi dire quitté le monde et me trouvais sur une autre planète parmi une autre espèce d’êtres humains ». Grouard s’installe à Matahoa et fait ses premiers baptêmes par immersion qui ont grand succès.

Cinq années plus tard 1850, les missionnaires catholiques arrivent à Anaa qui compte alors 600 mormons parmi les 2000 habitants. La compétition est vive, d’autant que les préjugés antipapistes et antifrançais sont puissants.

La population de Anaa commence à se révolter.

Alerté, le gouverneur de Papeete envoie le capitaine de Bovis qui arrive le 24 septembre 1852 à Anaa et établit son commandement au village de Tukuhora. Le dimanche 27 septembre 1852, de Bovis fait prisonniers tous les fauteurs de trouble, abolit la religion mormone et interdit tous les lieux de culte mormons, au nom du Gouverneur Page. Tout le monde se soumet. Ariipaea, le chef de Tekotika (Putuahara) est destitué de sa charge et remplacé par Taneopou, un fervent catholique. De Boris quitte l’île.

Le combat des chefs

Chacun croit l’affaire réglée et l’agitation politique terminée ; la population d’Anaa s’était soumise et les chefs avaient été remplacés. En fait, il n’en était rien. Le 1er novembre 1852, une querelle éclate au début de novembre à Tekotika (Putuahara) entre l’ancien chef Mapeura et le nouveau Tanehopu.

« J’étais mormon ; je soutiendrai toujours les Américains et les Anglais contre les Français. » proclame Mapeura.

Tanehopu, le nouveau chef pro-catholique, veut mettre en prison l’ancien chef Mapeura pro-mormon. Mais Tefaitiuga, son oncle, un homme d’une force herculéenne, prend parti pour son neveu et s’oppose au chef Tanehopu. Ce dernier informe aussitôt le gendarme Viry qui le 9 novembre à 10 h, se rend à Tekotika (Putuahara) chez Mapeura en compagnie du père Ferréol et du chef Tanehopu. L’ancien chef Mapeura semble se soumettre.

Le brigadier envoie alors chercher l’oncle Tefaitiuga (Tevaitinga), qui lui par contre, refuse de se soumettre et menace même Viry, s’il tente de l’arrêter par la force. Ce dernier n’écoute pas les conseils qu’on lui donne et considère comme de son devoir d’arrêter lui-même Tefaitiuga. Viry s’arme de son pistolet et accompagné du chef Tanehopu, tente d’aller saisir Tefaitiuga, par la force et sous la menace de l’arme. Mal lui en prit. Cerné par des hommes armés de casse-tête et de lance, sous les yeux du chef Tanehopu, le brigadier est tué de 17 coups de lance et de massue.

Les mormons ont une version légèrement différente :

Le chef Tanehopu, se conformant aux directives reçues, exige l’arrêt d’une réunion de prière qui se tenait chez Tevaitinga (Tefaitiuga). Lorsque les mormons refusent, il demande à un gendarme de faire respecter son ordre. Le gendarme, ivre, entre de force et demande aux membres agenouillés en prière de mettre fin à leur culte «hérétique». La plupart s’arrêtèrent, mais Taiho, une femme âgée qui était en train de prier à genoux, refuse de se lever. Mis en colère par cette manifestation de désobéissance, il tire l’épée et veut l’en frapper, mais l’épée reste coincée dans le toit de paille. En une fraction de seconde, pendant qu’il essaye de la détacher, quelqu’un saisit un harpon et l’en transperce. Mortellement blessé, celui-ci tombe à l’extérieur et meurt sur-le-champ.

La stèle du brigadier Viry située à Putuahara, commémore cet assassinat.

La révolte et la mort du brigadier

Une douzaine d’hommes, résolus à détruire toute la mission catholique et tous les ressortissants français qui sont sur l’île, se partagent : un groupe va à Otepipi et ensuite à Temarie. L’autre groupe se porte vers la Mission au village même où se trouve ce jour-là le père Ferréol et le père Clair.

Le père Clair, calmement s’avance vers les assaillants armés de casse-tête et de piques. Il est jeté à terre et roué de coups. Il se relève et s’enfuit vers le lagon. A son tour, le père Ferréol est attaqué mais il se défend : il est grand, fort, c’est un ancien sergent. Le père Clair est attaqué une seconde fois près du bateau, il reçoit des coups sur la tête et tombe évanoui dans l’eau. Les deux pères restent dans l’eau jusqu’à la nuit avec le chef Taneopou qui les protège.

Les responsables de ces exactions vont se cacher dans une grotte secrète, Faitiga, située à l’extrémité de l’atoll de Anaa.

Une réaction bien lente des français

Deux baleinières sont envoyées au Gouverneur Page à Tahiti les 9 et 20 novembre 1852 avec l’annonce de l’assassinat du gendarme. Le Gouverneur l’annonce à Paris mais n’envoie pas immédiatement de secours à Anaa car il s’efforce de se défausser en rendant le Père Clair Fouqué responsable des incidents.

Ce n’est que le 4 décembre 1852, que l’Hydrographe commandé par le lieutenant Parchappe, suivi bientôt du navire Le Phoque du capitaine Le Brigant, arrivent à Anaa.

Une répression bien sévère

Après enquête, Le capitaine Le Brigant conclut à l’innocence des missionnaires catholiques. Le gouverneur Page, mécontent de ce rapport, le relève de son commandement et le remplace par le lieutenant Parchappe. Celui-ci, aidé de volontaires tahitiens, fait une répression sévère. Il fait pendre, sans que les pères catholiques puissent intervenir, cinq hommes dont un catholique innocent, Temuta, accusé sur faux témoignages.

Il déclare la mission catholique illégale et transforme les mormons en protestants, reconnus comme seuls légaux. De tels excès suscitèrent de vives protestations des gendarmes et des français. Pour finir, le Gouverneur Page, malgré ses rapports sur « l’autorité du Gouvernement établie contre les religions », fut blâmé et remplacé par le Ministre de la Marine.

L’ère d’intolérance et de persécutions religieuses prit fin. Dès 1867, la liberté de religion régnait de nouveau dans tout le Protectorat.

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Le village change de nom

Avant cet assassinat, le village de Putuahara s’appelait Te Kotika Roa et son tahua (place principale) Mania qui veut dire « calme, tranquille ». Le village prit après le meurtre du brigadier Viry le nom de Putuahara, c’est-à-dire le « lieu des crimes ».

Un nom pas très attractif pour le développement touristique de l’atoll !


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Sources :

Olivier Babin 2005 Archives personnelles
Chant Putuahara Kotika roa – Anaa
Lettre du Père Montiton à Mgr Doumer (16-12-1852), annoté par Mgr T. Jaussen. Gendarmes et colons au Gouverneur et à Mgr T. Jaussen (déc. 1852, 18-10-1853). Lettres C. Fouque de 1852 à 1853. Lettres F. Loubat de 1852 : Ar.SS.CC. 62,3.
Père Léon Lemouzy. La révolte d’Anaa. Le Semeur 1977
R.P. Paul Hodée. Tahiti-1834-1984, 50 ans de Vie chrétienne en Église. chap. 7
S.G. Ellswort et K.C. Perrin. 1994. Chronique de la foi et du courage. L’église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours en Polynésie française, cent cinquante ans d’histoire, 1843-1993. P 11 et 34