Pour l’aider à rentrer chez lui, aux Samoa, la marquisienne Puturua prêta l’une de ses baleines apprivoisées au tahu’a Kae. Mais elle fut bien mal remerciée car une fois arrivé chez lui, Kae tua sans scrupule la baleine. Remplies de douleur, Puturua et ses trois filles décidèrent de se venger en mettant au four l’immonde Kae.

Tununui et Togamaututu, les deux baleines apprivoisées

Dans un lointain passé aux îles Marquises, vivait Puturua, l’épouse de Tinirau, le rois des poissons. Puturua possédait deux baleines qu’elle avait adoptées puis apprivoisées et qu’elle aimait autant que ses trois filles,  Rua-tamahine, Rua-kato-uri et Rua-kato-mea.

La plus âgée des deux baleines s’appelait Tununui et sa sœur cadette portait quant à elle le nom de Togamaututu. Les deux grands mammifères marins avaient pour habitude de rester près du rivage afin de demeurer aux côtés de leur maîtresse et ne pas être emportés vers le large par la houle. Puturua les avait dressées dans le but de pouvoir voyager d’île en île, sur leur dos.

L’arrivée de Kae, grand prêtre des Iles Samoa

Par un hasard de la navigation, Kae, un grand tahu’a (prêtre) de l’île de Vavau-nui (Samoa) vint s’échouer un jour aux îles Marquises, sur l’île où vivait Puturua. Ayant perdu son bateau, il supplia Puturua de lui venir en aide en lui prêtant une de ses baleines pour pouvoir rentrer chez lui aux Samoa. Méfiante, elle opposa tout d’abord un refus catégorique. Mais sur les instances réitérées de Kae, elle consentit, mais à contre-cœur.

Puturua accompagna donc Kae au bassin où se trouvaient les deux baleines. Là, elle lui demanda : – Laquelle des deux désires-tu ?»
–  L’aînée, Tutunui » répondit Kae. A l’appel de son nom, la baleine s’approcha aussitôt de la berge. Kae monta sur elle, enfonça ses pieds dans les évents et prit le large après avoir adressé ses adieux à la famille de Puturua. Togamaututu accompagna son ainée. Les deux baleines naviguèrent côte à côte comme deux inséparables. Le beau temps favorisa le voyage qui s’effectua rapidement et sans accident.

Parvenu près du récif de son île Vavau-nui, au lieu d’abandonner sa monture, le rusé Kae dirigea directement la baleine sur le récif pour qu’elle s’échoue et ne puisse pas s’échapper. Il appela alors ses compatriotes pour la tuer et la partager. Ils ne se le firent pas répéter. Le pauvre animal fut mis en pièces à l’endroit même où Kae le fit échouer. Son sang coula et rougit les flots. Des morceaux de chair, tombés par hasard, furent entraînés en mer par le flot descendant.

Togamaututu, l’autre baleine veillait

L’autre baleine, Togamaututu, était restée pendant ce temps au large et assistait de loin en témoin, navrée et impuissante, au meurtre de sa sœur aînée. Elle recueillit précieusement les morceaux tombés à l’eau, ainsi que les caillots de sang sortis de Tutunui et s’en retourna vers Puturua. Celle-ci ainsi que ses trois filles, voyant Togamaututu revenir seule comprirent aussitôt qu’un accident était survenu.

A la vue du sang coagulé et des morceaux de chair que Togamaututu avait affectueusement recueillis le long du récif de Vavau-nui, Puturua et ses filles comprirent que Tutunui avait été tuée. Un cri spontané de vengeance sortit de leur bouche. Folles de colère, en même temps que remplies de douleur, Rua-tamahine, Rua-kato-uri et Rua-kato-mea demandèrent à leur mère inconsolable la permission d’aller, sans plus attendre, demander raison à l’immonde Kae de l’assassinat de Tutunui dont elles voulaient, coûte que coûte, venger la mort. Elles s’embarquèrent à cheval sur Togamaututu et arrivèrent bientôt chez Kae.

La vengeance de Puturua et de ses filles

Pour favoriser leur intention et ne pas éveiller les soupçons du meurtrier de leur chère amie, les trois sœurs firent bonne figure. L’une d’elles poussa même la complaisance jusqu’à prendre la tête de Kae sur ses genoux pour lui chercher les poux. Elles profitèrent aussitôt de cette bonne occasion pour le ligoter et l’enfermer dans un filet serré fait de tresses de «karava», une corde imputrescible.

Ainsi prisonnier, elles l’embarquèrent et l’emmenèrent à Puturua leur mère. Celle-ci commença par lui demander raison de sa cruelle et ingrate conduite envers Tutunui. Comme il n’avait aucune excuse à donner, elle vengea la mort de Tutunui en tuant Kae. Raffinée dans le supplice, elle coupa Kae morceau par morceau, les bras d’abord, les jambes et la tête ensuite afin de lui faire ressentir la souffrance de Tununui lors de sa mise â mort. Le corps découpé en petits morceaux fut ensuite cuit au four ; elle le mangea, seule, sans consentir à ce que ses filles goûtassent de cet animal criminel.

A cette époque, le cannibalisme était encore pratiqué aux îles Marquises.

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Sources :

Handy G. Marquesan legends. Bishop Museum Bull n°69 1930
Père Hervé Audran, missionnaire au Tuamotu. Légende de Kae.  Bull. Société des Etudes Océaniennes. n°33, octobre 1929
Photo Mata Tohora, Association pour la protection des mammifères marins