Des défunts malintentionnés viennent parfois se venger des tracas qu’ils ont subit pendant leur vie. Pour stopper cela, une vieille coutume ancestrale consistait à brûler le corps du revenant.  John Maire nous apporte son témoignage de ce tupapa’u (revenant) aux effluves de pourriture :

En 1979, j’étais officier de navigation et second capitaine à bord de la goélette Aura Nui affectée au ravitaillement des Tuamotu du centre. Un gendarme embarque à bord et nous apprend qu’il devait surtout se rendre à l’île de Nihiru, pour une enquête de « routine ».

L’île de Nihiru est l’une des plus sinistres de notre parcours. Des habitants qui parlaient peu, les yeux fuyants, qui ne vous invitaient jamais à partager un poisson avec eux, ou une noix de coco.

Sinistre aussi, parce que la « sorcellerie », le « muki » était pratiqué par un tahu’a (sorcier) mangarévien qui usait et abusait de bouteilles de parfum de « Pompeia » au parfum acre et sucré censé chasser les mauvais esprits.

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Le vieux Terii voulait finir tranquillement sa vie 

Le voyage précédent, un mois plus tôt, un homme de près de 70 ans, d’une très grande stature, très jovial, nommé Terii, débarquait lui aussi avec bonheur dans son île natale de Nihiru qu’il avait laissée il y a une trentaine d’années pour y finir tranquillement sa vie.

Le gendarme nous apprit qu’il était en mission très particulière sur cette île, car le vieux Terii est décédé deux semaines après son retour à Nihiru et qu’il y a dix jours, sa tombe aurait été violée et son corps brûlé.

Tout d’abord, nous nous sommes rendus vers le cimetière où se trouvait la tombe du vieux Terii. Nous l’avons exploré, cherchant des indices d’un feu ou d’un brasier récent. Bien sûr, il y avait quelques morceaux de charbons éparpillés çà et là, mais ils auraient pu provenir des nombreux feux allumés pour brûler les feuilles de cocotier et autres branches d’arbres que l’on trouvé, dans les cimetières.

Personne n’avait entendu parler de violation de tombe

Le gendarme n’avait pas mandat pour ouvrir la tombe et vérifier la véracité de la rumeur. Il était là pour recueillir des témoignages et le procureur avisera dès qu’il aura fourni son rapport. Ce jour-là, une vingtaine de personnes seulement se trouvaient au village. Non, personne n’avait entendu parler de violation de tombe, de cadavre brûlé. Vraiment, non.

Mais nous avons recueilli un témoignage des plus troublants d’une femme en train de laver son linge auprès d’un puits.

Le gendarme, très poliment, se présenta et exposa le but de sa visite. Avait-t-elle été témoin ou entendu parler de violation de tombe et de cadavre brûlé ? Sa question nous désarçonna :

« Vous parlez de ce salopard de Terii ? Je ne sais pas s’il a été brûlé ou non, mais ce que je sais moi, et même ceux qui n’ont pas voulu vous le dire, c’est que ce vieux « faufau » dégueulasse, dès qu’il fut enterré, a commencé à harceler les gens du village, même en plein jour. »

Une odeur de pourriture s’était mêlée à la brise

La femme nous raconta alors sa rencontre avec le tupapa’u (revenant) du vieux Terii :

Un jour, j’étais ici, et je puisais de l’eau pour ma cuisine. Un bon vent de maoa’e de l’est nord-est soufflait et nous apportait un peu de fraîcheur. Et voilà que tout d’un coup une odeur de pourriture, de cadavre s’était mêlée à la brise. C’est comme ça que ce vieux salaud annonçait son arrivée. Je me suis retourné, et je l’ai vu là-bas, dans cette petite bananeraie, la langue pendante jusqu’à la poitrine, brandissant un harpon, et émettant des sons incompréhensibles…
J’étais terrorisée, mais néanmoins je lui récitai une prière et lui disant : « Va-t-en Satan »…
Et alors, tout d’un coup, il a disparu derrière les fourrées, glapissant comme un chien, et la puanteur avec ».

Le gendarme et moi, interloqués, lui avons fait cependant répéter son témoignage pour qu’il soit consigné. A la question s’il était possible que le sorcier mangarévien ait été impliqué dans la mort du vieux Terii ou dans le brûlage de son cadavre, elle nous répondit :

« Je n’en sais rien, mais si son cadavre a été brûlé, c’est peut-être pour cette raison que l’on ne sent plus cette odeur de pourriture et que l’en ne voit plus le vieux « dégueulasse » se promener avec son harpon en plein jour. Maintenant nous avons la paix. »

Affaire classée

Je n’entendis plus jamais parler de cette histoire jusqu’au jour où, trois ans plus tard, je rencontrai à nouveau mon gendarme qui m’avoua que l’affaire avait été classée. Mais, ajouta-t-il, avec une petite moue,

« Je crois vraiment que le vieux Terii a été brûlé ».

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Sources :

Propos de John Mairai – octobre 2007