Quatorze tonnes d’or provenant du trésor des incas, se cacheraient sur un atoll des Tuamotu. Le problème c’est que les atolls se ressemblent tous et que les chercheurs successifs n’ont jamais réussi à retrouver l’endroit ou il serait caché. 

Le trésor de l’église de Pisco

L’histoire commence en 1859. L’Eglise de Pisco au Pérou cache dans sa crypte un fabuleux trésor : 14 tonnes de lingots d’or, des chandeliers d’or, des bijoux…, dont une grande partie aurait été volé aux Incas par les jésuites espagnols. Personne, sauf quelques prêtres ne connaissait son existence. Mais un jour, l’un des prêtres, le Père Matheo, dévoile le secret à quatre anciens mercenaires de l’armée péruvienne : l’espagnol Diego Alvarez, l’irlandais Killorain, l’anglais Luc Barrett et l’américain Archer Brown. Les quatre compères conçoivent un plan pour récupérer ce trésor.

Eglise de Trisco au Pérou où se trouvait le trésor de Pisco

Transférer le trésor pour le protéger

Alvarez et Killorain, qui étaient catholiques, se rendent régulièrement à la messe à l’église de la Compagnie de Jésus de Pisco et deviennent rapidement des paroissiens modèles. Une fois bien introduit dans l’église, ils font croire aux prêtres que le père Matheo prépare un complot pour voler le trésor. Les prêtres, craignant pour leur or, acceptent la proposition d’Alvarez de charger le trésor sur le navire « Bosun Bird» pour le transporter jusqu’à la ville de Callao où il sera en sécurité. Dès qu’ils sont hors de vue, la bande des quatre tue les prêtres et l’équipage puis met le cap vers une île inhabitée des Tuamotu où ils comptent cacher temporairement le trésor.

Les quatre compères débarquent sur un minuscule atoll, dont ils ne connaissent pas le nom, mais ils savent que l’atoll se situe dans l’archipel des Tuamotu. Ils enterrent le trésor et notent certains repères physiques : Il n’y a qu’une seule passe pour rentrer dans le lagon ; un grand pinacle de corail est situé du coté ouest à gauche de cette passe ; à environ trois miles de la passe se trouve une « piscine en forme de poire » avec sept blocs de corail adjacents.

Les lingots d’or sont déposés au fond de cette piscine et les bijoux sont enterrés à proximité.

Alvarez dessine une carte avec toutes ces indications, mais il ne connait pas le nom de l’atoll où le trésor est enterré. Ils décident de s’arrêter à la prochaine île, qui s’appelle Katiu pour demander le nom de l’atoll. La personne qui rencontre ne comprend pas la question et leur répond qu’il est originaire de « Pinaki ». Alvarez ne voulant pas de témoins susceptibles de voler leur trésor, tue l’homme, puis ils se dirigent vers l’Australie.

L’aventure australienne

Au large des côtes australiennes près de Cooktown, ils sabordent leur navire pour faire croire à un naufrage. Ils vont ensuite dans le nord australien pour travailler dans une mine d’or et gagner assez d’argent pour acheter un bateau et revenir chercher le trésor. Malheureusement pour eux, tout ne se déroule pas comme prévu. Alvarez et Barrett sont tués dans une altercation avec des indigènes en février 1860, peu après leur arrivée en Australie. Killorain et Brown, qui avaient tué un homme dans une bagarre, sont condamnés à 20 ans de prison. Brown meurt pendant sa peine. Seul l’irlandais Killorain survit en purgeant sa peine.

La carte de l’île au trésor

A sa libération en 1912, Killorain est devenu un clochard, mais sur son lit de mort il fait appeler un compatriote irlandais Charles Edward Howe : «Tu t’es comporté avec amitié pour moi, je vais te faire un cadeau royal : voici la carte d’une île où j’ai enterré un trésor immense avec trois amis aujourd’hui disparus…». Sur cette carte dessinée par Alvarez figurent trois îles formant un triangle mais sans que soient indiquées les noms des îles et les distances entre les îles.

Trinity map. thegreatlosttreasure

Cela pourraient être le groupe des atolls de Tepoto sud, Hiti et Tuanake ou celui des atolls de Nukutavake, Vairaatea et Pinaki. Killorain donne également les points de repères, le pinacle de corail sur le côté ouest, et la «piscine en forme de poire » près de laquelle se trouvent sept blocs de corail.

L’expédition de Charles Edward Howe

Charles Edward Howe vérifie l’histoire, vend tous ses biens et débarque, fin 1913, à Papeete. Il recherche des associés prêts à monter avec lui une grande chasse au trésor sur l’atoll de Pinaki, qu’il pense être l’île localisée sur la carte. Quelques notables de la société tahitienne de l’époque, Franck Homes, Alexandre Le Gayic, et Georges Spitz, s’associent avec lui. Dès l’accord passé, la goélette la Suzanne largue ses amarres avec à son bord trois des associés : le capitaine Le Gayic, Spitz et Howe. Ils sont tous trois gonflés d’enthousiasme et de certitude.

« Bientôt nous serons milliardaires ! » disent-ils.

La maréchaussée veut sa part du trésor

Mais les premières difficultés apparaissent sous la forme de trois gendarmes que le procureur Simoneau a lancé aux trousses de Charles Edward Howe et de ses partenaires qui font route vers Pinaki à bord de la Suzanne. Les ordres donnés aux gendarmes ne manquent pas de pittoresque quand on sait que Pinaki est un minuscule atoll désertique :

« Le rôle de ces gendarmes sera de veiller aux agissements des hommes débarqués et d’empêcher le réembarquement de toute chose prise en terre et en particulier de coffres qui seraient, dit-on, enterrés dans l’île, et appartiennent de ce fait à la colonie. »

Trois gendarmes embarquent sur le Saint-Michel pour rejoindre Pinaki. Peu aprèsleur arrivée, ils aperçoivent la chaloupe de la Suzanne qui se dirige vers l’île avec à son bord le capitaine Le Gayic. Ce dernier a un haut le corps et croit avoir la berlue en voyant, tout à coup, sortant de derrière un buisson, comme un diable de sa boîte, un gendarme en uniforme ! Sur une île déserte, si loin de Tahiti, un gendarme ! Le Gayic se ressaisit vite et rompt le premier le silence :

« Mais que faites-vous, gendarme, sur cette île déserte ? Seriez-vous le dernier survivant d’un naufrage ?»

L’important, se dit Le Gayic, c’est de gagner du temps pour ne pas donner l’impression au gendarme qu’il y a trésor sous roche ! Non, non ! la Suzanne ne fait que passer. Et la chaloupe regagne la Suzanne qui lève l’ancre. Ce n’est que partie remise, les gendarmes ne peuvent rester éternellement sur cet atoll désertique.

Un chercheur de trésor, ça creuse, ça creuse !

Charles Edward Howe revient sur l’atoll de Pinaki en février 1913 et passe treize années à creuser sans relâche avec une obstination de monomaniaque, certain d’entendre un jour sa pelle résonner d’un bruit divin : celui de l’acier de son outil cognant enfin contre un des coffres d’or ! L’espoir fait creuser et Howe creuse, creuse et creuse encore… sans autre résultat que de transformer Pinaki en gruyère et d’acquérir des muscles d’haltérophile ! Il revient toutefois régulièrement travailler à Papeete pour trouver de nouveaux financements.

Passe de l'atoll de Pinaki en 1900. Photo Charles Townsend Haskins

L’écrivain américain Charles Nordhoff, qui fait escale à Pinaki en 1919, raconte sa rencontre avec le vieux chercheur d’or dans son livre, Fairy Lands of the South Seas :

Je m’étais avancé en suivant la plage et n’avais pas encore remarqué la série de tranchées qui se trouvait plus à l’intérieur. Et comment il avait creusé ! J’inspectais les tranchées sous sa conduite, il y en avait trois de quatre cents mètres de long chacune et qui devaient faire de 1 m à 1,20 m de profondeur. » Et l’écrivain ajoute ce commentaire : « Nous avançâmes le long de la plage et là, nous trouvâmes un immense bloc de corail avec de curieux dessins taillés dans la pierre.

Ces symboles sont identiques à ceux utilisés par les conquistadors.

Les recherches se poursuivent sur l’atoll de Tuanake

Vers 1920 et n’ayant toujours rien trouvé, Charles Edward Howe commence à douter que Pinaki soit bien l’île au trésor. Il se renseigne auprès d’anciens marins qui lui disent que le « Bosum Bird » n’a pas posé l’ancre à Pinaki, mais sur un autre atoll. Il découvre que certains polynésiens prononcent T en plaçant la pointe de la
langue sous la lèvre supérieure de sorte qu’il sonne plutôt comme un P. Ce que l’on avait interprété comme « Pinaki » pourrait être « Tuanaki », l’ancien nom de Tuanake, Hiti, voire même To Piti, l’ancien nom de Tepoto Sud. Il réalise qu’il s’est trompé d’atoll et va poursuivre ses recherches en visitant les atolls voisins de Hiti et de Tuanake.

Au bout de trois jours sur Tuanake, et après avoir demandé l’aide des habitants, il localise trois caches, un coffre avec des bijoux, un autre coffre avec des doublons et des morceaux de bois dans le lagon qui marquerait l’emplacement de l’or. Mais, comme il ne dispose d’aucun moyen pour transporter « son trésor », Howe réenterre les coffres sur l’atoll à « 84 pieds E. par N. et 75 pieds N. E. » du pinacle. Il prend quelques pièces du trésor, mais il annonce officiellement à la population qu’il n’a rien trouvé.

L’expédition des frères Juventin à Pinaki, en 1921

En 1921, Charles Edward Howe qui travaille dans un magasin de souvenirs à Papeete rencontre les six frères Juventin : Louis, Auguste, Élie, Émile, Édouard et Henri. Il parvient à les convaincre de l’aider à mettre à jour le fameux trésor. « Tous ensemble ils y parviendront, à coup sûr ! » se dit-il. Et au mois de juin 1921, ils embarquent tous pour Pinaki sur un vieux cotre, la Florina. André Juventin, un cousin qui fait également partie de l’aventure raconte :

A l’exception de notre famille, tout le monde était dans le secret le plus absolu. Howe était si confiant dans le succès de l’entreprise qu’il avait décidé de rester tranquillement à Papeete. Avant notre départ, il nous avait remis un plan comportant des indications très précises sur l’endroit où nous trouverions le trésor. Le point de départ de nos recherches consistait en un grand trou au milieu de la cocoteraie et le chemin à suivre nous mena tout droit dans le lagon par cinq à six mètres de fond. Là se trouvait le trésor. 

Mais lorsqu’ils débarquent à Pinaki, ils constatent que le trou qu’ils pensaient peu profond est en fait une fosse très profonde. Leur équipement est complètement inadapté pour sonder à une telle profondeur. Chaque fois qu’ils creusent au fond de l’eau, ils soulèvent des nuages de sable ce qui les contraint à remonter à la surface. Ils constatent donc qu’il sera quasiment impossible de retrouver le trésor avec comme unique matériel des pelles et des lunettes de plongée. Ils abandonnent et mettent le cap sur Papeete. Howe ne manifeste aucune émotion particulière lorsqu’ils le retrouvent en ville.

Que les frères Juventin n’aient pas trouvé le trésor n’étonne guère, par contre l’attitude d’Howe surprend. Comment cet homme qui a voué sa vie à la recherche de ces caisses d’or peut, non seulement ne pas participer à l’expédition, mais encore les orienter vers l’atoll de Pinaki, qu’il a fouillé pendant treize années sans rien trouver alors qu’il savait que le trésor était caché sur un atoll voisin. Il semblerait qu’il était lassé de ses treize années de recherches.

La seconde expédition Juventin à Pinaki

En juillet 1921, Charles Edward Howe, les frères Juventin et Chin Foo qui est à l’origine du financement, montent une nouvelle expédition sur Pinaki. Cette fois-ci Howe vient avec eux ainsi qu’un charpentier, Clinton Chapman. Ils embarquent un important matériel sur la goélette Vaihiria. Mais malgré cela, l’opération n’est pas concluante.

Le trou qu’ils essayent de dégager se remplit à chaque fois de sable et la nuit efface le travail qui a été accompli le jour. Au bout de trois jours, complètement découragés et malgré les trésors d’ingéniosité déployés par Chapman pour trouver un système qui empêcherait le trou de se combler, ils abandonnent les recherches.

En 1928, quinze ans après son arrivée sur le territoire, Howe est expulsé pour l’Australie par ordre du Gouverneur. Il cherche de nouveaux bailleurs de fonds pour monter une autre expédition. Alors que tout semblait organisé, il disparaît.

L’expédition d’Hamilton de 1934

En Janvier 1934, un prospecteur, Edwardes, accompagné d’un jeune plongeur de Londres, George Hamilton, se rendent sur l’atoll de Pinaki, mais comme ils ne pas trouvent le célèbre pinacle et le bassin en forme de poire, ils décident de visiter d’autres atolls. Le capitaine Louis Tapotofarerani leur parle alors d’un autre atoll circulaire dont l’ancien nom Tuanaki (Tuanake) ressemble à Pinaki, puis de l’atoll de Tepoto sud qui s’appelait anciennement Ti Poto. Ils parcourent plusieurs atolls et enfin ils se retrouvent devant une « piscine en forme de poire » exactement comme Killorain l’avait décrite.

Georges Hamilton sur l'atoll de Pinaki en 1934

Georges Hamilton en train de creuser en 1934

Ils sondent le bassin et heurtent quelque chose de dur à six pieds dans le sable au fond du bassin profond de 12 pieds. Hamilton plonge mais à peine arrivé au fond, il est saisi par les tentacules d’une pieuvre géante. Il poignarde l’animal qui réagit en éjectant un nuage d’encre noire. Quelques temps plus tard, il plonge à nouveau et il est cette fois attaqué par une énorme murène qu’il tue. Le bassin est désormais libéré de ses gardiens. Mais lorsqu’on creuse dans le fond du bassin, les courants marins ramènent le sable et rebouchent la fosse.

Ils ne peuvent rien faire à la main et ont besoin de matériel pour aspirer le sable et dégager les lingots. Ils retournent à Papeete chercher des fonds pour une nouvelle expédition, mais leurs bailleurs refusent d’apurer les pertes et de réinvestir dans l’aventure qui se termine. Hamilton raconte son histoire dans un livre et prévoit d’en faire un film.

De nouvelles recherches à Tepoto en 1994

Lors d’une tempête en 1988, le bassin a été presque totalement ensablé et de nombreuses pièces en argent et en cuivre sont découvertes dans les coraux du récif.

Un soir d’hiver de 1993, un descendant de Georges Hamilton examine avec une puissante loupe de vieilles photos aériennes d’atolls des Tuamotu que lui avait fourni le Bishop Museum d’Hawaï. Sur la photo de l’atoll de Tepoto Sud, il reconnait clairement la piscine en forme de poire qui se reflète au soleil. Près de la passe il repère le pinacle de corail. En regardant sur la carte de l’atoll, il s’aperçoit que les géomètres ont utilisé le pinacle comme point de triangulation et indiqué sa position exacte : latitude S16°49’ et longitude W144°16′.

Recherche du trésor des Tuamotu sur l'atoll de Tepoto sud en 1993

La piscine en forme de poire

En 1994, ce chercheur qui préfère l’anonymat (au pseudo Al) affrète le Sea Belle de Fakarava pour se rendre sur l’atoll de Tepoto sud qu’il avait identifié. Bien équipé, Il installe des palplanches autour de la « piscine » pour retenir le sable des rives et utilise une grosse suceuse pour aspirer le sable (et éventuellement les doublons). Mais rien n’y fait, le sable continue à s’infiltrer et remplit de nouveau la fosse. Il repart bredouille mais avec la ferme intention de revenir.

On suppose que le trésor serait encore sous les sables d’un atoll polynésien, mais lequel ?

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Sources :

George Hamilton, The Treasure of the Tuamotus. Consists of three parts: The Hiding of the Treasure (1849) ; The Story of Charles Edward Howe (1910-1928) ; The story of George Hamilton (1934) Stanley Paul & Co. Ltd -1939
James Norman Hall and Charles Nordhoff. Fairy Lands of the South Seas. 1921
Le mémorial Polynésien, Le trésor de Pinaki, 1977. tome V p 264
Tony Crowley . By the Anchor Light. Seafaring Tales – Treasure Island de Killorain 2010
The great lost treasure