La grotte royale : la sépulture des rois

A leur mort, les rois de Taravai et une partie de ceux de Rikitea étaient habituellement transportés dans une caverne de l’îlot de Agakauitai (ou Angakauitai), nommée Te ana Tetea, placée au bas de la falaise et au bord de la mer, en face la pointe sud-est de l’île Taravai. C’était, en quelque sorte, leur privilège d’y être enterrés, ainsi que celui des grands‑prêtres et d’autres chefs puissants. Après quoi, on leur décernait souvent les honneurs de l’apothéose et ils prenaient alors place au rang des dieux.

Le roi blanc et le roi noir

Pendant un grand nombre d’années le Roi Blanc et le Roi Noir régnèrent ensemble sur leur peuple. Un jour, le roi blanc, sentant sa fin approcher, fit appeler son fils et lui dit :

Lorsque je serai mort, tu porteras mon corps à la grotte Ana Tetea sur l’îlot Agakauitai, où tu m’enterreras.

Son fils le lui promit et le vieillard rendit le dernier soupir. Le roi noir ne survécut pas longtemps à son frère et lorsqu’il sentit sa fin approcher il fit la même requête à son fils. La nouvelle de la mort du roi noir se répandit vite et partout. Les habitants vinrent chercher le corps du roi, pour le porter sur le marae où ils le vénérèrent pendant huit jours et huit nuits. Ensuite ils le portèrent dans la mer, pour y laver le pus qui sortait de son corps et l’exposèrent au soleil, afin de le sécher. Quand il fut sec, les gens de Taravai puis les habitants des différents secteurs de Mangareva vinrent également l’adorer chacun pendant huit jours et huit nuits. Aussitôt qu’ils eurent achevé leurs cérémonies, le corps du roi noir fut transporté à Agakauitai et déposé dans la grotte Ana Tetea.

Un endroit surnaturel et plein de fantômes. Ne nous attardons pas ici !

L’ethnologue Peter Buck, raconte sa visite avec l’archéologue Emory de la grotte Ana Tetea de l’îlot Agakauitai près de Taravai guidés par Steve, un colon blanc habitant le pays :

« La grotte était une simple niche creusée à la base d’une falaise majestueuse à laquelle, dans mon esprit, j’attribuai une personnification. En bas, le terrain était couvert de rochers écroulés.
Steve dit : “ Lorsque je suis venu ici avec Eskridge, les rochers ne cessaient pas de tomber du haut de la falaise ». Je regardai en l’air. Il faisait un très beau temps et pas un souffle d’air ne venait effleurer la falaise. Elle me contemplait de sa hauteur avec bienveillance comme si elle avait reconnu en moi un ami.
Je lui répondis :  » Les esprits des morts savaient que vous étiez des étrangers. Aujourd’hui, c’est différent. Ils comprennent que je suis de leur race et que les renseignements obtenus ici seront utilisés à leur honneur. Écoutez-moi bien : pendant tout le temps que nous serons ici, pas une seule pierre ne se détachera de la falaise.  »
Nous découvrîmes une abondance de tapa d’écorces blanc, ainsi qu’un crâne et quelques ossements. Je suis un bien piètre homme de musée, car je ne puis me décider à transporter des crânes polynésiens loin de leur terre natale. J’ai l’impression – une superstition, si vous voulez – que si je le faisais, cela détruirait les liens de sympathie qui existent entre le passé et moi.
Après notre départ, alors que nous avions quitté la falaise, je demandai à Steve :  » Alors, que vous avais-je dit ? Est-ce qu’une seule pierre est tombée ?  »
Steve me considéra avec une nuance de respect et me répondit :  » Vous aviez raison.  »
J’adressai à la falaise un geste d’adieu reconnaissant et crus la voir sourire. Elle avait compris. »

Profanation

Lorsque les missionnaires et navigateurs ont commencés à envahir les îles Gambier, l’entrée de la grotte a été obstruée avec des rochers pour éviter toute intrusion et laisser les rois « dormir en paix »

Cela a été efficace pendant de nombreuses années. Mais malheureusement, en 2005, des étrangers venus en voilier ont profané ces sépultures et ont subtilisé des ossements et des tapa (étoffe naturelle) et essayé de les monnayer au prix fort au Musée de Tahiti et des îles, sans succès, puis auprès de la Société des Etudes Océaniennes.

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Sources :

Eugène Caillot, Mythes, légendes et traditions 1912, p 153
Père Laval. Mémoires pour servir à l’histoire de Mangareva. Société des Océanistes 1968
Olivier Babin et Bruno Smith 2000