Au cœur des îles Marquises, les récits ancestraux façonnent encore aujourd’hui l’identité culturelle des vallées. Parmi eux, la légende de Fatuanono, connue comme la légende des nonos noirs, explique de manière fascinante comment ces minuscules insectes piqueurs ont envahi Nuku Hiva et de Ua Pou. Ainsi, entre croyances sacrées, interdits et mana, ce récit continue de vivre dans la mémoire polynésienne.
Un chef en quête de pierres sacrées
Un grand chef de Nuku Hiva, endeuillé par la mort de son père, se rendit à Atuona, sur Hiva Oa, afin de rechercher les pierres nécessaires à la construction d’un paepae, la plateforme mortuaire traditionnelle. Accompagné de cent quarante guerriers, il sollicita alors les conseils du chef local.
Ce dernier lui indiqua de se rendre chez Vehine-Atua, une prêtresse respectée. À son arrivée, celle-ci l’interrogea : – « Quelles sont les nouvelles de Nuku Hiva ? »
Le chef expliqua sa quête. Cependant, Vehine-Atua ne consentit à lui donner les pierres qu’à une seule condition : être ramenée à Nuku Hiva. Le chef hésita aussitôt, car il était tapu (interdit) pour une femme de monter sur une pirogue.
Un interdit transgressé
La prêtresse insista tant que les guerriers finirent par céder, mettant ainsi fin à la discussion. Pendant ce temps, son mari, Fatu-a-nono, rassembla dans une calebasse tous les simulies de la région : les fameux nonos, redoutés pour leurs piqûres.
Puis, il accompagna sa femme jusqu’à la mer et avertit le chef de Nuku Hiva :
— « Tu ne dois pas prendre cette femme dans ta pirogue, c’est interdit. »
Cependant, la décision était déjà prise.
Vehine-Atua fit ensuite rouler les pierres depuis la rivière jusqu’à la mer, puis les déposa dans les pirogues. Le groupe prit finalement la mer vers Nuku Hiva.
La trahison au large de Taipivai
Une fois au large du cap ouest de Taipivai, nommé Tikapo, le chef ordonna soudain à ses hommes :
— « Jetez Vehine-Atua, son bâton de prêtresse et Fatu-a-nono à la mer. Ces pierres sont tapu et ne doivent pas voyager avec une femme. »
Ainsi, les guerriers obéirent et précipitèrent le couple dans l’océan, entre Ua Pou et Nuku Hiva.
À peine eurent-ils touché l’eau que Vehine-Atua demanda :
— « Casse la calebasse. »
Fatu-a-nono s’exécuta. Les nonos s’en échappèrent en nuées : la moitié se dirigea vers Nuku Hiva, l’autre vers Ua Pou. C’est ainsi, selon la tradition, que les nonos envahirent ces deux îles tout en épargnant Hiva Oa.
Un retour surnaturel grâce au mana
Grâce à son mana, Vehine-Atua monta sur son bâton de prêtresse, qui se transforma en embarcation sacrée. Le couple fut alors porté jusqu’au rivage de Taipivai.
Puis, une tempête terrifiante éclata : le tonnerre gronda, des éclairs déchirèrent le ciel et un vent violent souleva la mer. La pirogue du chef sombra, emportant avec elle les hommes et les pierres sacrées. Ainsi, la justice des dieux s’abattit sur ceux qui avaient osé transgresser les lois du sacré.
Les nonos : un fléau minuscule mais redoutable
Un insecte hématophage très agressif
Les nonos de Polynésie française sont des Diptères hématophages dont la piqûre provoque de fortes démangeaisons. Presque invisibles, ils se déplacent en nuées et piquent avec insistance, ce qui leur confère une nuisance considérable. Grâce à leur agressivité, ils peuvent empêcher certaines activités en plein air, tant pour les habitants que pour les visiteurs.
Simulium buissoni : le nono des rivières
Le Nono noir des rivières, Simulium buissoni, ressemble à une petite mouche noire légèrement bossue. On le trouve uniquement sur Nuku Hiva et Eiao.
Seules les femelles piquent, car elles ont besoin de sang pour permettre la maturation de leurs œufs. Puis, grâce à ce cycle vital exigeant, elles restent particulièrement actives dans les zones humides et proches des cours d’eau.
Les nonos dans la culture marquisienne
Les nonos occupent une place notable dans la tradition marquisienne. On les retrouve dans de nombreux contes, dont celui de Fatuanono, mais aussi dans les motifs de tatouages traditionnels où ils apparaissent sous des formes stylisées.
Ainsi, même s’ils sont source d’inconfort, les nonos demeurent profondément inscrits dans l’imaginaire polynésien, entre symbole, mémoire et identité.
Sources :
D’après légende recueillie par W.C. Handy, en 1921, à Hiva Oa.
Handy G. Marquesan legends. Bishop Museum Bull n°69 1930
Lavondes H. Pichon G. 1972. Des nono et des hommes. IRD
Bruno Didier Les nono, un cauchemar polynésien INRA
Motifs de tatouage marquisien représentant des nonos, d’après K. Von den Steinen (1925) et W.C. Handy (1938)
I.A. 23 nov 2035




