Au même titre que la « malédiction des pharaons » qui a frappé les archéologues après la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922, plusieurs histoires mystérieuses accompagnent l’histoire des tiki polynésiens et particulièrement les tiki de Raivavae qui seraient responsables de plus d’une demi-douzaine de morts selon la croyance populaire.

Le ti’i ou tiki est une représentation de forme humaine sculptée dans de la pierre ou du bois dans lesquelles était supposé entrer un esprit que les humains désiraient invoquer. Ces statues qui étaient implantées sur des lieux sacrés étaient souvent chargées de mana (pouvoir).

Les trois statues du marae Moana-Heita

Les trois tiki qui sont actuellement dans les jardins du musée Gauguin de Papeari proviennent de Raivavae, aux îles Australes. Ces tiki se trouvaient, faces au nord, dans le district de Rairua, à quelques 600 mètres de la mer, près de l’entrée d’une grotte, sur le marae Moana-Heita un endroit sacré où seul le tahua (prêtre) pouvait pénétrer, disait le R.P. Hervé Audran en 1917.

« C’est par les habitants de Laïvavaï (Raivavae) qu’on a su que c’étaient les tii oni et les tii papa de la cosmogonie polynésiennes, génies du sable et des rochers du rivage, protégeant la terre contre les usurpations de la mer  » dit A. Moerenhout en février 1834.

Emile Vedel donne en 1933 une description de ces statues taillées dans des blocs de tuffeau basaltique de couleur rouge foncé :

  • La plus grande des deux statues représente une très grosse femme, avec un énorme ventre (2,92 m de tour) sur lequel sont posés des mains. Elle mesure un peu plus de 2,72 m de hauteur, y compris un socle de 0,70 m, et son poids dépasse les deux tonnes. La main gauche a la particularité d’avoir six doigts.
  • A peu près aussi grande et beaucoup plus mince, l’autre statue figure probablement un homme malgré une apparence de mamelons sur la poitrine, mais qui semble avoir été émasculé depuis pas mal d’années. Elle n’a pas de socle, mesure 2,17 m de hauteur, a un tour de ventre de 2,14 m et pèse 900 kg.
  • La troisième beaucoup plus petite, représenterait un enfant.
Tiki de Raivavae. 1921-1923. The katherine Routledge lantern slide collection” / British museum.

Les Tiki de Raivavae. 1921-1923. Coll. Katherine Routledge, British Museum.

Tiki de Raivavae. 1921-1923. The katherine Routledge lantern slide collection” / Musée de l’Homme-British museum.

De Raivavae à Papeete

Depuis longtemps déjà la Société des Etudes Océaniennes avait fait des démarches pour obtenir le transport de ces statues au chef-lieu, mais l’entreprise n’était pas facile avec les moyens de fortune dont disposent les petites goélettes qui seules fréquentent ces parages. L’occasion se présenta lorsque M. Steven Higgins, constructeur de bateaux et le Capitaine Tetua Mervin furent envoyés par M. Ch. Brown pour renflouer sa goélette  » Valencia », échouée sur les récifs de Raivavae.

La haute intervention de M. le Gouverneur Montagné, autorisant l’entreprise, avait aplani les scrupules attardés et régularisé cette importante acquisition.

Tout commença un beau jour d’août 1933, lorsque Stevens Higgins ancra la nouvelle goélette « La Denise » dans le lagon de Raivavae. Celui ci avait décidé d’acquérir trois tiki de Raivavae afin de les exposer au musée Océanien de Papeete. Il s’agissait d’un couple, Moana et Heiata, et de leur enfant.

Un certain Terii Tane, négocia la vente des statues à Higgins. Après avoir consenti à leur enlèvement moyennant une indemnité dérisoire, la propriétaire du terrain, une cheffesse nommée Tanitoa vahine, a vu en songe sept de ses ancêtres revenus de l’autre monde pour lui reprocher son abandon et n’a pu que très difficilement s’en séparer. Elle regretta son geste, mais trop tard.

Avec des moyens de fortune, car aucun naturel de l’île n’a voulu prêter la main à l’opération, le capitaine Higgins et l’équipage parvinrent à hisser les deux grandes statues à bord du navire « La Denise » sans les briser. Mais lors de son chargement, le petit tiki chavira et fini sa course au fond des eaux.

Embarquement des tikis à Raivavae en janvier 1934. Photo l'Illustration

Embarquement des tiki à Raivavae fin 1933.

Il y a quelques années, une équipe d’archéologue a voulu le récupérer mais les habitants de Raivavae ont fortement manifesté pour que ce vestige historique reste sur place.

« Quand on possède un objet de valeur comme celui-là, on souhaite le garder« , disaient-ils avant d’ajouter « On voudrait également récupérer les deux autres tiki qui sont au musée de Papeari à Tahiti« 

L’arrivée à Papeete des tiki de Raivavae

Débarquement à Papeete des tiki de Raivavae en janvier 1934 - L'illustation

Le navire La Denise le 13 janvier 1934 à Papeete avec à son bord les tiki de Raivavae – Photo L’illustation Journal universel.

Débarquement à Papeete des tiki de Raivavae en janvier 1934 - L'illustation

Le débarquement à Papeete des tiki de Raivavae le 13 janvier 1934 – Photo L’illustation Journal universel

Emile Vedel raconte que le soir de l’arrivée du navire “La Denise” à Papeete, de petites flammes malodorantes se sont allumées sur la mer, semblables à des feux follets courant tout le long du rivage. Phénomène que les Tahitiens n’ont pas manqué d’interpréter comme un signe de la colère des tiki arrachés de chez eux. Plus tard, on a su qu’il s’agissait une simple boîte de phosphure de calcium accrochée à une bouée de sauvetage, qui sert de signal lumineux la nuit en venant au contact de l’eau, qui avait été brisée et dont le contenu s’était répandu dans la rade, où ses miettes se sont enflammées, comme il convenait. Mais sait-on jusqu’où peut aller la malice d’un tiki transplanté malgré lui ?

Deux mois plus tard, Stevens Higgins tombe malade, probablement d’une grave affection hépatique. La rumeur publique, immédiatement, attribua la maladie aux deux tiki. Derrière la pierre muette, le mana est encore puissant. Effrayé, Higgins jure de ramener les deux statues sur leur lieu d’origine. L’a t’il juré et n’a t’il pas tenu parole, ne l’a t’il jamais juré comme l’assure sa famille ? En 1936 il meurt, et la rumeur fait sienne la malédiction des tiki.

Quand la sœur d’Higgins meurt deux mois plus tard, et que Terii Tane et sa compagne également, cela suffit pour fortifier la conviction que les deux tiki possèdent un pouvoir maléfique.

De l’avenue Bruat à Mamao

Un peu plus tard, les tiki sont déplacés du musée Océanien de l’avenue Bruat au nouveau musée de Tahiti situé à l’emplacement du Jardin Raoul à Mamao, alors que tout le monde assure qu’il ne faut les toucher à aucun prix. Huit ans plus tard, lorsque le conservateur Édouard Ahnne meurt, on attribue encore cette mort à Moana et à Heiata, malgré le temps séparant leur déplacement de ce dernier décès.

Les deux tiki avaient l’air de se complaire dans ce nouveau jardin du musée de Tahiti qui se trouvait à Mamao, à l’emplacement de l’ancien hôpital, puisqu’ils s’amusaient à faire des farces aux visiteurs, comme le raconte l’histoire du tiki farceur de Mamao.

Tiki de Raivavae au musée de Tahiti avenue Bruat à Papeete 1934 - Photo L'illustation

Les tiki de Raivavae au musée océanien, avenue Bruat à Papeete en 1934 – Photo L’illustation

Tiki de Raivavae au musée de Mamao, Papeete en 1951. Photo Philippe Mollet

Profil d’un des tiki de Raivavae au musée de Tahiti, à Mamao Papeete, en 1951. Photo Philippe Mollet

Tiki de Raivavae au musée de Tahiti à Mamao, Papeete

Tiki de Raivavae au musée de Tahiti à Mamao, Papeete en 1955.

Commentaires

Sources :

J. A. Moerenhout. Voyages aux Iles du Grand Océan 1837 Tome I, page 142).
Emile Vedel, les statues mégalithiques de Raivavae. L’illustration, Journal universel, du 13 janvier 1934
Henri Bodin, 1933. Note sur les Statues de Raivavai (Vavitu). BSEO n° 49 (pp. 275-278)
Emile Vedel, 1934. Les statues mégalithiques de Raivavae. Extrait de l’Illustration du 13 janvier 1934. BSEO n° 281/282/ septembre 1999.
Philippe Mazellier, Tahiti, de l’atome à l’autonomie 1979
Martine Rattinassamy, 2003. Les Ti’i de Raivavae. Service de la culture et du Patrimoine.
Archives Tahiti Heritage
Photo 1 : Le gros tiki dans la brousse de Raivavae dans les années 1930. Photo Pierre Verger (Musée de l’Homme Paris)