L’hôtel Shogun, situé rue du Commandant Destremeau, était un hôtel bien connu des marins et des touristes il y a une cinquantaine d’années. Il était également bien connu des fonctionnaires de l’immeuble d’en face qui surveillaient de leurs fenêtres le constant « va et vient » des visiteurs et la petite culotte rouge qui était accrochée à la fenêtre pour indiquer que la place était libre !

Quelques touristes ont raconté leurs aventures dans les hôtels de Papeete à cette époque :

« Le panneau vert de l’hôtel Shogun brille sur la rue sombre. La porte est fermée, je tire sur la cloche et une vieille femme semble sortir de l’ombre. Elle me conduit au deuxième étage ou se trouvent deux chambres et un dortoir. Les deux chambres sont contiguës, séparée par une simple cloison de planches vernissées, mais disjointes qui s’arrêtait à hauteur d’homme. Lorsqu’une dame venait écouter le phonographe chez moi, la femme du voisin passait sans façon le nez par-dessus la cloison et, si elle la connaissait, entamait avec elle une petite conversation en tahitien. Même si nous avions, la dame et moi, autre chose à faire. Ça ne la gênait pas…

Un autre soir, aucune lumière dans mon hôtel mais la porte est grande ouverte. Je monte l’escalier à tâtons. A tâtons, également, je cherche le bouton de la porte de ma chambre. Pas de clef ; pas de verrou. Personne, dans l’île, ne songe à se barricader. Ma chambre est encore plus obscure que l’escalier. Je tourne le commutateur électrique. Sous la lumière crue, apparaissent deux corps entièrement nus. Le monsieur et la dame dorment paisiblement sur mon lit. Je secoue vigoureusement le monsieur.
– T’es pas piqué ? dit-il d’une voix pâteuse. En voilà une façon de réveiller les gens ! C’est à vous la « carrée» ? Fallait le dire.
Je montre mes vêtements pendus aux murs, le phono sur le guéridon, mes accessoires de toilette au-dessus du lavabo.
– Vous avez déjà trouvé une brosse à dents dans une chambre garnie ? fis-je.
– Ça va, grommela l’homme en ramassant ses habits, un uniforme de marin qu’il avait jeté à même le plancher, on se barre.
Mais la Tahitienne ne paraissait pas pressée de s’en aller.
– Où irons-nous ? murmura-t-elle.
– T’occupe pas, riposta l’homme. Viens !
Cet impératif catégorique ne la décida pas à sortir du lit.
– Je peux rester, moi ? fit-elle avec un tendre sourire qui m’était dédié.
Mon bon coeur l’emporta. – Restez si vous voulez.
Le marin me lança un regard haineux. Il s’avança en roulant ses larges épaules ; mais le vin, sinon l’amour, lui avait fauché les jambes. II vacillait. Je n’eus aucune peine à le rejeter sur le palier.
Au milieu de l’escalier, il se retourna : – Bonne nuit, lança-t-il, avec une moue ignoble ; la place est chaude. Tandis qu’elle remettait en ordre le lit ravagé, la Tahitienne m’expliqua que c’était elle qui avait amené le marin à cet hôtel où elle espérait profiter de la chambre d’une amie. Mais l’amie était « occupée ». Alors, le marin, ivre, l’avait entraînée de force sur le premier lit libre ; c’est-à-dire dans le mien. Cette enfant semblait enchantée d’être délivrée d’un compagnon qui s’était montré brutal, et d’avoir trouvé un abri pour le reste de la nuit.

A Papeete règne le communisme intégral, au moins en amour.« 

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Sources :

Louis-Charles Royer – 1949 – Femmes tahitiennes.
Pierre Charrier – 1938 – Tahiti terre du Plaisir.
Illustration G.Pavig extraite de Femmes Tahitiennes