Les deux amies de Raiatea s’aimaient l’une et l’autre, comme les deux sœurs. Mais la mère de l’une d’elles, était une sorcière qui adorait la chair humaine. Elle profita de l’obscurité nocturne pour attraper l’amie de sa fille afin de satisfaire son appétit. Bien mal lui en prit !

Tehaupuaura et Teroroitepii étaient amies depuis qu’elles étaient petites ; elles s’aimaient l’une et l’autre, comme les deux sœurs de même père et même mère. Tehaupuaura vivait à Opoa (Est de l’île de Raiatea) et Teroroitepii vivait à Tevaitoa (Ouest de l’île de Raiatea). La limite d’Opoa se termine au lac Mana, et la limite de Tevaitoa commence au lac Mana et va jusqu’à l’autre bout de l’île. Le quartier d’Opoa était le quartier des bons hommes, et le quartier de Tevaitoa était le quartier des mauvais; on le nommait le quartier des ténèbres.

La fête des ancêtres

Un jour, Teroroitepii invita son amie Tehaupuaura à venir assister à une fête qui avait lieu chez eux, en souvenir des âmes mortes. C’était la fête des ancêtres, qui devait durer un certain temps.

Le jour fixé étant arrivé, Tehaupuaura se prépara pour aller à Tevaitoa chez son amie, et la voilà partie. Arrivée à Mana, à la limite des deux districts, Teroroitepii était là qui l’attendait. Après s’être embrassées, elles partirent pour Tevaitoa.

La sorcière mal aimée

Mais pour leur malheur, la mère de Teroroitepii était une sorcière qui adorait la chair humaine. En arrivant à la maison, elles ne trouvèrent personne. Teroroîtepii prépara leur manger.

A la tombée de la nuit, la sorcière arriva. Dès qu’elle aperçut la maison, elle cria: « Je sens l’odeur de quelqu’un qui vient de la vie », et sa fille lui répondit : « Personne de la vie ne peut venir chez nous, car ils ont peur de toi. »
« Non, reprit la sorcière, je sens quelqu’un qui vient de la vie, et j’ai envie de le manger », et sa fille dit: « C’est ma chère amie, qui vient passer les fêtes avec nous. »

La vieille dit: « Bon », et avança à pas lents, car elle était aveugle, elle se mit à faire semblant de caresser Tehaupuaura sur les bras, sur les jambes, sur tout son corps, pour vérifier si elle était bien grasse. Quand elle eut bien examiné Tehaupuaura, la sorcière alla dans la case pour préparer la couchette des deux filles, en distinguant bien celle de Tehaupuaura de celle de Teroroitepii, la première à sa gauche et sa fille à sa droite, afin de ne pas se tromper au milieu de la nuit, lorsqu’elle irait tuer Tehaupuaura.

Quand elle eut fini, elle dit aux filles: « Mettez-vous sur vos lits, car il fait nuit; c’est tard maintenant, il faut éteindre la lampe. » Alors les deux filles se mirent sur leur lit, sans que Tehaupuaura sache qu’elle allait mourir cette nuit.

Au milieu de la nuit, avant le réveil de la sorcière, Teroroitepii se leva et se dirigea vers le lit de son amie, et la réveilla en lui disant:

«  Il faut changer de lit, c’est l’habitude chez nous; ma mère sorcière viendra te tuer si tu ne changes pas de lit, c’est l’habitude chez nous ; ma chère amie, je te recommande bien, prends bien garde, n’oublie pas tout ce que je vais te dire : si ma mère vient, elle me tuera et me coupera en morceaux; dès le matin, avant le lever du soleil, tu te lèveras et tu viendras sur moi prendre mon cœur dans une feuille de ape, tu l’exposeras la nuit à la rosée et le jour tu le préserveras de la chaleur; si tu accomplis bien cela, je reviendrai à la vie. »

Et en effet toutes les choses arrivèrent comme elle avait dit.

La fuite avec le cœur de son amie

De très bonne heure, Tehaupuaura se réveilla avant le soleil, et alla trouver son amie toute mutilée, prit le cœur le mis dans une feuille de Ape, et se sauva comme l’avait dit Teroroitepii.

Elle partit à travers la montagne; arrivant au pied d’un rocher elle trouva deux cordes: une corde blanche et une corde noire ; elle monta par la corde blanche, car c’était la corde de son amie morte. Arrivant dans le haut de la montagne, elle entendit une voix qui l’appelait par derrière et, regardant, elle vit la vieille sorcière qui la poursuivait, en montant par l’autre corde, celle qui était noire, car la vieille sorcière s’était aperçue qu’elle avait tué sa fille. Quand elle fut au milieu du rocher, Tehaupuaura coupa la corde et la méchante tomba morte au pied du rocher, et Tehaupuaura fut sauvée.

Ape, Oreille d'éléphant. Alocasia macrorrhizos © Tahiti Heritage

Ape, Alocasia macrorrhizos 

Le retour à la vie

En arrivant à Mana, elle se mit à pleurer en songeant à son amie morte pour la sauver, et se mit à chanter :

« J’arrive à Mana, lac où les vagues se rencontrent, vont et viennent. Je suis seule ici ; l’amitié, c’est un malheur au jour de la séparation. »

Ayant terminé son chant, elle continua sa route. Quand elle arriva à la maison, elle raconta son aventure à ses parents et puis elle alla cueillir une feuille de ape (Alocasia macrorrhizos) pour envelopper le cœur de son amie, qu’elle soigna jour et nuit comme elle en avait reçu la recommandation.

Au bout d’un certain temps, le cœur de la morte se transforma en corps qui respire l’air, et puis se leva. C’était Teroroitepii qui revenait à la vie, car elle était fille de sorcière, et les diables de sa mère, aux puissances féeriques, étaient venus l’aider à retourner à la vie.

Elle resta chez son amie, où elle se maria avec un jeune homme du quartier d’Opoa, et y vécut jusqu’au dernier jour de sa vie.

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Sources :

D’après la légende des deux amies recueillie par André Ropiteau, auprès de Namata o Tera Uua, à Maupiti le 8 juin 1928. Bulletin de la Société des études Océaniennes, n°31, juin 1929, p 280-291
Illustration Wolfgang Wolf, Vahine, Tahiti 1940
Tahiti Heritage : Wolfgang Wolff, peintre de la vie tahitienne