La chasse aux tortues au début du siècle dernier :

Une fois l’an, les tortues de mer, inhabiles à se mouvoir hors de l’eau, se traînent sur leurs avirons griffus pour aller enfouir leurs œufs dans le sable corallien de la plage.
Elles sont venues hier soir : sous la clarté froide de la lune, un homme les a vues.
Il s’agit de les surprendre maintenant au petit jour.
Sur le sol blanc de la grève, des centaines de sillons trahissent à distance leur sortie. Bientôt elles regagneront la mer jusqu’à l’époque de la ponte prochaine.
Sous le couvert des cocotiers, de la broussaille mikimiki et hoho, des indigènes embusqués se tiennent prêts au bondissement.

Une lueur incertaine teinte l’immensité de l’eau : peu à peu, l’horizon se précise. Déjà deux tortues, géants caparaçonnés et pesants, regagnent l’asile profond de la mer. C’est le moment d’agir.
Au signal convenu, tous les guetteurs à la fois s’élancent de plusieurs points vers la rive et c’est une fuite éperdue des énormes chéloniens. Mais toute retraite leur est désormais coupée. Retournés un à un sur le dos, les voici tous immobilisés, tous, sauf le plus volumineux d’entre eux, lourd d’environ 500 kilos. Comment renverser celui-là? Non sans efforts répétés, huit hommes y parviennent tout juste.
Globe d’abord rutilant au ras de l’horizon, le soleil peu à peu resplendit sur l’aveuglante nudité de la grève, jonchée de pagaies vivantes, qui doucement se meuvent vers le ciel.
Un câble épais et résistant, noué à l’épaule de chaque nageoire, retient les grosses tortues captives au pied des cocotiers : la première goélette de passage les chargera pour Tahiti, où leur chair est friandise.

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Sources :

Pierre Charrier, Tahiti terre du plaisir, Paris 1928