Cette ancienne légende polynésienne, recueillie auprès d’anciens de Raiatea en 1912 raconte l’amour contrarié de la belle Tiaitau de Raiatea avec Paea un jeune tahitien au coeur très volage.

Voici l’histoire d’une jeune fille de l’île Raiatea nommée Tiaitau, qui vivait à une époque déjà reculée. Cette jeune fille habitait le quartier d’Ereeo, dans le district de Tevaitoa (Raiatea). Elle était renommée pour sa beauté. A cette époque, la réputation de cette jeune fille parvint aux oreilles d’un jeune homme de Tahiti appelé Paea. Cette jeune fille était vierge et avait repoussé maintes propositions de jeunes gens du pays.

Premier amour

Paea conçut le projet de se rendre à Raiatea pour voir cette beauté et cette chaste personne. Il s’y rendit, et là, il prit des renseignements sur la demeure de Tiaitau. Il lui fut répondu qu’elle habitait le district de Tevaitoa et qu’elle était d’une beauté sans pareille.

Il se rendit au lieu qui lui était indiqué et questionna les premières personnes qu’il rencontra pour savoir où demeurait la jeune Tiaitau. Celles-ci lui dirent qu’elles allaient l’y conduire. Elles l’y menèrent effectivement, et lorsque Paea la vit, il resta en extase devant elle. La jeune fille, d’autre part, contempla le jeune Tahitien qui la saluait. Paea eut le cœur plein de joie d’avoir vu la jeune Tiaitau. Puis prenant courage, Paea demanda la main de Tiaitau. Celle-ci lui répondit :

« Je suis heureuse et t’admire d’être venu de si loin pour me demander en mariage ; je t’accepte donc pour époux ».

Le mariage fut aussitôt célébré et ils vécurent là très heureux,

Un mari infidèle

Quelque temps plus tard Paea entendit dire que sur un îlot voisin vivait une jeune fille également belle et d’une conduite irréprochable. Paea mourut d’envie d’aller la visiter, mais, pour se rendre dans cet îlot sans éveiller l’attention de Tiaitau, il lui fallait un motif plausible. Il réfléchit, et un soir, il dit à Tiaitau : « Il y a assez longtemps que nous n’avons pas mangé de poissons, je vais pêcher cette nuit. » Sa femme l’ayant approuvé, il se rendit directement dans l’îlot en question. Il n’avait pas du tout l’intention de pêcher, il recherchait la jeune fille dont il avait entendu parler. A son arrivée, la jeune fille qui était assise à ce moment, en le voyant parût gênée.

Paea, au contraire, marcha vers elle d’un pas assuré et la salua. Elle lui répondit par un salut, puis lui demanda ce qu’il était venu faire dans son îlot. Il lui dit :

« Je suis venu te voir et te demander d’être ma femme ».

Elle ne fit aucune difficulté pour se rendre au désir du jeune homme. Ils passèrent la nuit ensemble et, à l’aube, il retourna à terre vers sa femme légitime. Inutile de dire qu’il n’avait pas de poisson, puisqu’il n’avait jamais eu l’intention d’en prendre. Sa femme lui ayant demandé s’il avait fait bonne pêche, il lui répondit : « Non, je n’ai pas eu de chance, j’ai essayé toute la nuit de prendre des poissons, mais en vain » Tiaitau accepta cette déclaration comme vraie.

La tromperie est découverte

Paea continuait à aller visiter la jeune fille de l’îlot et chaque fois il rentrait chez lui sans poisson, faisant croire à sa femme, qui l’admettait, qu’il était poursuivi par la malchance.

Cependant un jour que Paea s’était encore absenté sous prétexte d’aller à la pêche, sa femme eut le pressentiment qu’il la trompait. Elle se fit beaucoup de mauvais sang et pensa au suicide, puisque son mari ne l’aimait plus.

Elle se dirigea vers une source se précipita au cœur même du trou béant d’où jaillissaient des tourbillons d’eau et disparut. Elle s’était tuée. Paea, après avoir passé un doux moment dans l’îlot en compagnie de la jeune fille déjà connue, se rendit chez lui, où il pensait faire croire encore une fois à sa femme qu’il revenait de la pêche.

Uriri ou Chevalier errant. Photo SOP Manu / Thomas Ghestemme

Uriri ou Chevalier errant.
Photo SOP Manu/T. Ghestemme

En arrivant, il vit la case vide, sa femme avait disparu. Il fit des recherches et parvint à la source dont il a été parlé plus haut. Là il reconnut dans un cadavre sa belle Tiaitau. Il devint fou, ne pensa plus à sa maîtresse de l’îlot, et n eut qu’une idée retourner à Tahiti. Il monta dans sa pirogue et pagaya vers son pays déjà éloigné de Raiatea, lorsqu’un oiseau se fit entendre, et sa chanson disait :

« C’est un uriri qui pleure, … qui pleure son mari. » L’oiseau chanta encore : « L’uriri pleure sur la plage et pense sans cesse à toi »

Le jeune homme continua à pagayer sans se douter que cet oiseau qui chantait n’était autre que l’âme de Tiaitau, sa femme. Il arriva à Tahiti, mais Tiaitau ne l’avait pas abandonné (à cette époque, on avait le pouvoir de revivre et de se transformer comme on le voulait). Elle avait donc, invisible, suivi Paea à Tahiti.

Un nouveau mariage

Quelque temps après, Paea projeta un nouveau mariage, bien que l’image de son ancienne femme Tiaitau ne fût pas encore effacée en lui. Il trouva donc une femme et fut fiancé. Le jour du mariage ne se fit pas attendre et, ce même jour, Tiaitau reprit son corps. Elle assista à la célébration du mariage et fit toilette pour se montrer à la noce. Pendant le repas, Paea remarqua cette jeune femme, et, après l’avoir dévisagée, il reconnut la belle Tiaitau. Il ne pensa plus au repas, il se leva et invita la foule à arrêter cette femme.

Tiaitau retourne dans son pays natal

On essaya de faire ce que Paea avait demandé, mais en vain. Tiaitau s’était enfuie et avait disparu. Elle était retournée à Raiatea et avait repris sa place, près de la source, dans le corps inerte qui s’y trouvait. Si ce jeune homme ne s’était pas remarié, Tiaitau aurait revécu et aurait pu la revoir dans la beauté qu’il lui avait connue auparavant.

Tiaitau, de retour dans son pays natal à Raiatea, pensa à aller vivre sur la montagne Vaoaara. Elle s’y dirigea donc, et arrivée à un certain point, elle se retourna et vit la haute mer ; elle continua et atteignit Tuturi ; elle s’agenouilla ; elle marcha encore et, arrivant à Tiaraafare, elle se construisit une case. Elle continua sa course et atteignit Fahiarii, où elle se fit reine. Elle arriva ensuite à Vaitoto-Vaitota et vit le tiare apetahi, la fleur de Temehani. Tiaitau était renommée pour sa beauté. Elle anéantit le fort de Rauhotu, à la place duquel s’ouvrit deux énormes trous, se jeta dans l’un d’eux, et disparut.

Quand aujourd’hui quelqu’un va faire une ascension vers cette montagne et fait l’expérience de prendre un morceau de tronc de pandanus et de le jeter au milieu de l’orifice, il peut constater que le même pandanus est sorti par la passe qui se trouve en face, un moment après.

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Sources :

Eugène Caillot. Mythes, légendes et traditions des Polynésiens. Te parau no Tiaitau no te fenua ra o Raiatea – La légende de Tiatau de Raiatea (v.o et traduction).1912-1913,  p 117-124
Eugène Caillot. Mythes, légendes et traditions des Polynésiens. Réédité en 2010 par les Editions Haere Po. Tahiti