Cette ancienne légende tahitienne, qui raconte l’origine de la lance du héros Pai, nous est contée par l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson, qui la recueillit auprès de Ariie, le chef de Tautira, lors de son séjour à Tautira en 1888.

Une malheureuse envie d’igname

Alors que la mère de Pai portait son enfant en son sein, elle eut une envie irrépressible de manger de uhi (Igname Ufi) photo ci contre) et elle en fit part à son époux. Cette igname poussait alors à profusion dans la vallée de Vaitepiha, aussi l’époux s’y rendit-il. Il commença à creuser dès le point du jour pensant être seul dans la vallée. Hélas, deux sorcières vivaient dans cette forêt ; elles l’épièrent, imaginèrent un stratagème, jurèrent sa mort. L’homme creusait encore et encore mais voilà, la racine de uhi, ensorcelée, s’enfonçait toujours plus.

Il creusa la majeure partie de la journée, retirant avec entrain la terre qu’il jetait par-dessus son épaule car il était très fort ; lorsque le soleil eut atteint son zénith, il avait creusé si profond que, les yeux levés vers le ciel, il voyait à présent des étoiles. C’est alors que les sorcières approchèrent du bord du gouffre et ensevelirent le malheureux sous les rochers.

Igname Ufi

Où est mon père ?

Devenu jeune garçon, Pai demandait aux autres enfants : « Êtes-vous comme moi ? N’avez-vous que votre mère ? » Ceux-ci répondaient : « Comment ?, Nous avons une mère et un père. » Il demanda alors à sa mère de lui expliquer pourquoi il se trouvait sans père. Sa mère lui fit alors la réponse suivante : « Quand tu étais encore dans mon ventre, j’ai eu envie de manger du uhi, c’est pourquoi ton père s’est rendu dans la Vaitepiha où il fut tué par les sorcières. »

L’enfant ressassa cette histoire et, peu à peu, son cœur s’emplit d’une terrible soif de vengeance. Il retourna voir sa mère et lui demanda : « Où puis-je me procurer une lance ? Quel arbre dois-je utiliser ? » Elle lui répondit : « Dans la Vaitepiha pousse un arbre dont ta lance devra être faite. Va dans la vallée où tu le trouveras aisément, c’est le plus grand de tous les arbres.

La lance magique de Pai

Il partit alors, seul ou, du moins, le pensait-il…

Il trouva l’arbre, s’en saisit, car il était très fort, et essaya alors de l’arracher. Mais cet arbre appartenait aux sorcières qui s’accrochaient à ses racines ; Pai tirait et les sorcières tiraient de plus belle. Ils continuèrent ainsi, à deux contre un, et 1 arbre grinçait sous leurs assauts répétés. Cependant Pai était d une force supérieure ; il réussit donc à arracher l’arbre, mais vit alors, oh surprise, que les sorcières étaient agrippées aux racines.

Pai les tua, les lia comme on le fait avec le poisson, puis les mit à sécher au soleil. Il prit l’arbre pour en faire sa lance, puis déterra un os de son père pour en faire la pointe.

Il essaya sa lance en un jet qui perça une colline du bout de la vallée. Il la ramassa et la lança une nouvelle fois ; elle s’éleva au-dessus de la grande île pour retomber dans le district de Punaauia. Il la suivit, la récupéra et la lança une troisième fois ; elle s’éleva alors au-dessus du chenal, transperça une montagne à Moorea, et continua sa course pour atteindre l’île de Raiatea qui trembla lorsqu’elle s’y planta.

Après avoir conté cette légende, Stevenson ajoute :  » Les trous faits par cette lance dans les montagnes sont encore visibles aujourd’hui. La vallée aux nombreuses rivières, Vaitapiha, signifiant plus précisément d’après ce qui m’a été rapporté, « la chambre des eaux », est une des plus belles vallées qui existent ; encerclée de montagnes mystérieuses, sa végétation est luxuriante et on y est bercé par le chant des rivières et du vent. »

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Sources :

Robert Louis Stevenson. Two Tahitian Legends : Of the Making of Pai’s Spear. London 1891. Longman’s Magazine Vol 19.
Teuria Henry. Tahiti aux temps anciens. Société des océanistes Paris 1962. p 602
Robert Louis Stevenson. De l’origine de la lance de Pai. 2013. Bull n°328 de la société des Etudes Océaniennes.
Illustration : John La Farge, The Entrance to the Tautira River, Tahiti, vers 1895, huile sur toile, National Gallery of Art, Washington.