En mai 1887, l’aviso Scorf jetait l’ancre dans la rade de Papeete. Outre le courrier et les colis usuels, son connaissement portait mention d’un chargement insolite : « Quarante serres, contenant plus de 1 500 plants« , à destination de la colonie. Un petit homme vif, nerveux, inspiré du feu sacré des choses de la nature en était responsable, le pharmacien botaniste Edouard François Raoul. II avait reçu mission du Ministre des Colonies de l’époque, d’exécuter un tour du monde au cours duquel il serait chargé d’introduire dans les Territoires français d’Outre-Mer des « plantes productrices des matières premières réclamées par le commerce et l’industrie ».

Le pharmacien botaniste Edouard Raoul

A sa sortie de l’École de médecine et de pharmacie navale de Brest Edouard François Armand Raoul  débarque à la Guadeloupe en 1866 où sévit une épidémie de choléra. Pour sa conduite et son dévouement, il reçoit un témoignage officiel de satisfaction. Il sert successivement en Guyane, à Tahiti, à la Réunion, en Indochine, à Madagascar et même à Formose pendant l ’expédition contre la Chine.

A sa demande il est chargé d’une mission d’agronomie tropicale pour rechercher dans les colonies étrangères des plantes utiles à acclimater. Transportant des centaines de serres portatives, il fait un grand périple dans l’Océan Indien et le Pacifique, récoltant des plants en un lieu puis les implantant dans une autre île. Sa dernière escale avant de rejoindre Tahiti, est Nouvelle Calédonie où il créé un jardin d’essais.

Le pharmacien Edouard François Raoul.

A son retour en France il publie un livre sur « Les fleurs sauvages et les bois précieux de la Nouvelle Zélande » et participe très utilement à l’Exposition Coloniale de 1889. Nommé professeur à l’École coloniale, il est chargé du cours de productions et de cultures tropicales. En 1893 et 1894, il publie les deux premiers tomes de son « Manuel pratique des cultures tropicales et des plantations des pays chauds ».

Le jardin botanique Raoul de Mamao

En 1880, le Gouverneur Lacascade mit à la disposition de l’envoyé de Paris, le domaine de Mamao : huit hectares de brousse dont plus de la moitié avait appartenu à la Reine Pomare.

Faute de mieux, l’administration lui attribua, comme main d’oeuvre, la douzaine de malfaiteurs ou d’ivrognes que contenait alors la prison de Papeete.

Emplacement du Jardin Raoul à Mamao Papeete. Illus. Bull SEO n°273-274

Emplacement du Jardin Raoul à Mamao Papeete.
Bull SEO n°273-274

Quelques rares arbres du jardin botanique Raoul existent encore, mais sont considérés comme en sursis :

Mais ce n’est pas la brousse ou le manque d’aides qualifiés qui arrête un botaniste que passionne son métier. Durant quelques mois, payant de sa personne, Raoul remua la terre, piocha, bêcha, coupa, sarcla, arrosa, transplanta, greffa… Le riche climat de Tahiti fit le reste. La pépinière de Mamao est terminée en septembre 1887 (cinq mois en tout); il a stérilisé toute la terre des serres.

Le 3 mai 1888, la Pépinière de Mamao devient un Jardin botanique et sera placée sous la sauvegarde du public. Un jardinier chef et deux aides sont chargés de la garde, de la conservation et de l’entretien du Jardin. Sous peine de révocation immédiate, le jardinier chef ne pourra livrer aucune plante dont il ne pourra trouver au moins quatre exemplaires en pleine terre.

On peut lire dans le Journal officiel du 5 février 1891 que 3000 plants ont été délivrés par Jean-François Raoul, le jardinier de Mamao.

Un arrêté du 17 novembre 1894 donne au jardin botanique la dénomination de  » Jardin Raoul « . Quelques années plus tard, on pouvait lire dans le Journal Officiel local en date du 6 janvier 1898 :

« Le public est informé que le Jardin Raoul sera en mesure de fournir, à partir du 1er janvier 1898, environ 2 000 plants de cacaoyer aux agriculteurs qui en feront la demande….« … Le Jardin Raoul délivre également dès à présent des plants de thé de Ceylan, aux personnes désireuses de faire l’essai de cette culture… Il est également délivré, comme par le passé, des plants de caféiers, le tout gratuitement ».

A son départ, la presse locale s’extasiait. On trouvait au jardin Raoul des arbres nouveaux : cèdres rouges d’Australie, kaori, bambou à barils, eucalyptus intertropicaux, arbres à tanin ainsi que des centaines d’arbres fruitiers. On y trouvait également la paille de Panama pour la confection des chapeaux, l’herbe de para, l’arbre à caoutchouc, des essences résineuses, le jacquier, l’arbre du voyageur.

Un hôpital remplace le jardin Raoul

Le jardin Raoul fut géré tour à tour par la chambre locale d’Agriculture et par l’Administration.

En 1893, la superficie du jardin botanique n’est plus que de 5 hectares et 45 ares. Côté mer, une parcelle de 2 hectare où se trouve l’Hôtel du Directeur de l’Intérieur est « réservée à la colonie ». C’est dans cet hôtel, que bien après la disparition de ce poste (en 1898), que sera installé en mai 1935, le Musée de Tahiti et la Société des Etudes Océaniennes. Ils y resteront jusqu’en mars 1956.

Un arrêté du 7 septembre 1904 supprime le jardin public connu sous le nom de Jardin Raoul et rattache le terrain à l’hôtel de Mamao, affecté au logement du Secrétaire Général, sous réserve du droit pour la Chambre d’Agriculture de faire prendre dans ce jardin les graines et plants qui pourraient s’y trouver, quand bon lui semblera.

En 1932, le jardin est transformé en haras puis redevient pépinière de 1936 à 1939 avant d’être une nouvelle fois abandonné. Il devient ensuite un dépôt de matériaux pour le service des Travaux Publics.

En 1965, le Jardin Raoul disparaît définitivement pour faire place à l’hôpital de Mamao, Centre hospitalier territorial: ouvert en 1968, qui abrite 393 lits. Sa superficie est légèrement supérieure à 3 hectares. Sur le reste du jardin, s’implantent l’Ecole des Infirmières, le Dispensaire des Ecoles (devenu depuis 1985 le siège des consultations de médecine et de la trésorerie de l’hôpital) et le bâtiment qui abritait le médecin des fonctionnaires.

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Sources :

Oudart J.L. Les pharmaciens coloniaux. Médecine tropicale 2005, 65 p 263-272
Erhard J.-P. Qu’est devenu le jardin Raoul ? 1997 Bulletin de la Société des études océaniennes n°273-274, pp. 101-104.
Photo : Vallée de la Fautaua. Tahiti, 1896. Photo Arthur Baessler. Coll. eMuseumPlus