Maupihaa, communément appelée Mopelia, petite île « noyée dans son milieu » – comme à peu près toutes celles des Tuamotu – où les noix de coco du rivage et les poissons du lagon et de la mer composent toute la nourriture. Encore, souvent arrive-t-il que le poisson pêché ici ou là soit vénéneux au point de donner la mort pour qui en absorbe imprudemment la chair.

A Mopelia, en 1928, ils sont une cinquantaine d’habitants. En dépit de leur expérience à discerner le bon poisson du mauvais, il arrive malheureusement que l’un d’entre eux meurt empoisonné. Ce fut le sort de Tehela, voilà deux mois. Mais la fatalité persiste. C’est au tour de Matehutu maintenant : on vient de le trouver râlant sur sa natte. A peine a-t-il exhalé le dernier soupir que la population tient un conciliabule. De l’avis unanime, cette mort, rapprochée de la précédente ne peut point être naturelle il faut qu’un esprit redoutable s’en soit mêlé. Évidemment l’un de ces esprits oromatua ai aru qui errent la nuit en quête de nourriture, et ne trouvant qu’êtres vivants les tuent pour les manger. C’est à coup sûr l’esprit de Tehela qui est passé par là.

La terreur souffle sur l’île. Tout travail est suspendu. Nulle quiétude, nulle sécurité, aussi longtemps que le cadavre de Tehela continuera de reposer intact dans la fosse de corail blanc où il fut couché deux mois plus tôt. Il importe de le brûler sans retard afin que son esprit redoutable n’ait plus loisir de vagabonder dans la nuit.

La résolution prise, hommes, femmes et enfants se précipitent vers le fare (maison) de G…f, tahitien de sang mêlé, c’est-à-dire « demi-blanc ». Ils le rencontrent et lui crient leur épouvante :

– Qu’on se dépêche, ordonne G…f. Prenez des pelles et des pioches, un sac de chaux également, et suivez-moi. Il n’y a pas une minute à perdre. Le soleil descendra bientôt sur l’horizon.

La petite troupe va, court vers la tombe de Tehela. Une équipe s’y met à creuser le sable, une autre à déblayer, cependant qu’une troisième pêche. Quand apparaît enfin le cercueil, à coups violents de pic, avec rage un homme le défonce. L’horrible spectacle, l’odeur de chair en putréfaction qui prend à la gorge, qu’importe! L’essentiel n’est-il pas d’anéantir rapidement ce cadavre ? Alors surviennent les pêcheurs, porteurs de coquillages et de tripang (rori), qu’ils jettent sur le corps, avec de la chaux vive jusqu’à recouvrir le tout. Quand les dernières pelletées de sable ont refermé la fosse chacun regagne paisiblement son fare.

Pour tous, le cadavre le Tehela consumé, l’esprit est comme lui anéanti. Tout le monde pourra reposer en paix cette nuit !

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Sources :

Pierre Charrier 1928 – Tahiti Terre de plaisir, p 176