Il faut voir ces joyeux chargements d’hommes et de femmes, vêtus de couleurs vives et couronnés de fleurs, qui s’entassent dans des autobus, des « trucks », comme on dit à Tahiti. Ils servent aux transports en commun et ne sont souvent que des chassis d’anciens camions sur lesquels est fixée une énorme caisse de bois faisant office de carrosserie, garnie de bancs à l’intérieur et surmontée d’un toit rustique.

Truck à Papeete, 1952 National Library of NZ Whites Aviation Ltd

Photos 2 et 3 : Truck à Papeete en 1952. National Library of NZ Whites Aviation Ltd

Truck à Papeete, 1952 National Library of NZ Whites Aviation Ltd

Taravao-Papeete en truck dans les années 1960

Bob Putigny raconte un voyage en truck dans les années 60 :

« Nous nous étions levés un peu avant l’aube pour prendre le truck TaravaoPapeete. Au bord de la route, un monstre noir dardait vers le ciel une toison hirsute. Les deux gros yeux électriques qui s’allumèrent brusquement nous révélèrent l’autobus local. Sous un amoncellement de cocos et de ufi (ignames), la toiture pliait. Des centaines de feuilles de cocotier tressées, destinées à une maison de la ville, coiffaient l’ensemble et lui donnaient cette allure de hérisson coléreux. A l’arrière, pendaient des paquets de poissons luisants, et une truie, les pattes solidement liées au marchepied, obstruait l’entrée du véhicule. Il devait être environs deux heures du matin, et déjà, la plupart des places étaient occupées. Malgré l’heure tardive, ou avancée, aucun des passagers ne semblait vouloir se laisser aller au sommeil. Un groupe de garçons et de filles, couronnés de fleurs, brandissant des guitares, envahirent les banquettes. Tous, dans ce truck, étaient prêts à flamber comme bourre de cocos bien sèche. Les guitares servirent d’allumette… On débuta, par des chansons popaa. C’était charmant. En chœur, nous reprenions :
 – Emeu-moi comme on émuneu ro-o-se
– Qu’un rayon de soreille f é-t’-écrro-o-se…

Notre voisine allait à Papeete vendre ses guirlandes aux danseurs-du-samedi-soir. Elle estima que l’occasion était trop belle et, généreusement, les distribua autour d’elle. Les gosiers unanimes réclamaient un peu de carburant. On envoya réveiller le Chinois et acheter quelques bouteilles de bière.

Dans la cocoteraie de Papara, le truck s’arrête soudain devant une feuille de cocotier en travers de la route qui barre symboliquement le chemin. De derrière des arbres apparaît une mama avec son bébé dans les bras qui vient se joindre à nous pour conduire son bébé malade chez le taote (docteur) à Papeete.

Quelques kilomètres plus loin, le pesant véhicule stoppe à nouveau, bousculant ses occupants. Les plaisanteries et les éclats de rire se mêlèrent aux appels réitérés du klaxon. La silhouette d’un homme en pareo vint se découper dans l’encadrement lumineux de la porte d’un fare. Le chauffeur le héla : Allons, Terii, dépêche-toi ! Ses mains en porte-voix, l’homme répondit : Tout de suite, j’avale mon café, j’arrive. Ce café éveilla un certain intérêt chez une partie des voyageurs, qui fila partager le breuvage matinal.
Tout le long du parcours, les guitares vont bon train.

Chacun est heureux, de ce bonheur facile, léger et sans malice, qui est comme la marque du pays »

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Sources :

Bob Putigny ,Tahiti, dernier paradis.