Napatu, l’un des derniers chasseurs de baleines raconte comment se pratiquait la chasse aux baleines dans les années 20, à Rurutu (îles Australes).

« On m’appelle Natapu, mais mon vrai nom est Ariera Hurahutia. Je suis né le 10 juillet 1888. J’ai eu trois filles et sept garçons. Je suis originaire de Moerai sur l’île de Rurutu (Archipel des Australes) où j’ai été nommé mutoi (policier municipal) en 1920. Plus tard, j’ai été désigné comme Juge et Tavana (Maire).

La chasse à la baleine se pratiquait déjà avant les années 20 à Rurutu. A cette époque là il y avait beaucoup de baleines : 30, 40, 50 peut-être. Il était impossible de les compter. Elles venaient chaque année, entre juin et octobre, et restaient pendant trois mois environ, surtout en face de Moerai et Avera. Il fallait construire des embarcations spéciales auxquelles est resté le nom de « baleinière ». Personnellement j’en ai fabriqué quatre.

La chasse à la baleine dans les années 1920

Quatre ou cinq bateaux à la fois partaient à la chasse. Des équipages des trois villages y participaient. Il y avait huit ou dix rameurs, quatre ou cinq de chaque côté, et un seul harponneur. On se servait des avirons à la façon des piroguiers avec leurs pagaies. Cela fait moins de bruit et il ne fallait pas effrayer les baleines. L’ensemble de la lance mesurait un peu plus de trois mètres, dont 80 centimètres environ pour la pointe de fer. Le cordage avait au moins 100 brasses de long (180 m)

Pendant leur séjour dans les eaux d’ici, les mères allaitaient leurs petits jusqu’à ce qu’ils soient aptes à partir avec elles vers le large. Nous attaquions les jeunes, ce qui paraîtra sans doute cruel à certains et pourrait leur faire croire à un manque de courage de notre part. Mais il faut songer qu’une baleine adulte, dont le poids peut dépasser 100 tonnes, aurait pu, d’un simple coup de queue, fracasser une de nos embarcations. Comme les mères sont pleines de soins pour leurs petits et ne s’en écartent jamais bien loin, l’opération était quand même dangereuse et il fallait des hommes bien entraînés. Chaque année, des jeunes faisaient leur apprentissage.

La capture

Il pouvait s’écouler beaucoup de temps entre le moment où une bête était harponnée et celui où on la ramenait à la passe. Selon l’endroit où la lance avait pénétré et la taille de l’animal, cela pouvait prendre de deux heures Jusqu’à une journée entière. Quelquefois il fallait passer la nuit en mer.

Je me souviens d’une des plus longues captures ; ça a duré deux jours. La baleine avait été harponnée par Manava de Avera. Heureusement, il y avait les pirogues des gens des villages qui venaient nous ravitailler. Le plus ancien harponneur dont je me souvienne était un Tenauri, puis il y a eu Tuhiti de Moerai, Rata de la famille Mamae. Ensuite, Vavitu de Hauti, Manava de Avera et un autre Tenauri (Teaniva). La dernière baleine, avant l’interdiction définitive, a été harponnée par Teia Mo eau de Avera, en 1959.

Pêche à la baleine à Rurutu en 1950

Pêche à la baleine à Rurutu en 1950. Coll. Moanaura Walker

Le plus souvent, la bête harponnée tournait autour de l’Ile. Une fois, cependant, un animal est parti vers le large, entraînant une baleinière à bord de laquelle un de mes fils était rameur. Alors l’équipage a dû se résigner à couper le cordage. On raconte que, le lendemain, la baleine a été capturée aux Iles Cook. Cela s’est su beaucoup plus tard. Et c’était bien sûrement la même puisque le harpon était toujours planté dans sa chair.

Le Umu ai

Lorsque la capture était réussie, toutes les cloches se mettaient à sonner. Quand l’animal était très gros, il fallait le coincer à l’entrée d’une passe. Alors les gens des trois villages venaient le dépecer et se servir sur place.

On faisait cuire la chair dans le umu ai (nom Rurutu du hima’a four polynésien). C’est aussi bon que du bœuf et très nourrissant. Et à l’époque on ne mangeait pas souvent de la viande autre que celle du cochon, de temps en temps. Certains disent qu’un arrière-goût faisait penser à de la peinture, sans doute à cause de la graisse très huileuse. On savait la préparer pour la conserver et en manger pendant un mois. On utilisait une partie seulement de la graisse pour faire de l’huile. Cette huile servait, entre autres, à préparer des peintures en la mélangeant avec des produits locaux.

Tout le reste était perdu !

Partage de la baleine à Rurutu en 1950

Partage de la baleine à Rurutu en 1950. Coll. Moanaura Walker

Une pêche passionnante désormais interdite

Vers 1925, le mutoi farani (policier métropolitain) de l’époque, avait interdit la chasse à la baleine. Après son départ on a recommencé. Mais, moi-même, pour éviter le gaspillage, j’ai défendu la pêche pendant les années 1930.

Ah ! C’était une belle pêche, passionnante ! Et quand la baleine trainait le bateau on sentait toute sa puissance fantastique. En ce temps-là, il fallait aller assez loin au large. Maintenant les baleines viennent tout près du récif. Quel dommage que les jeunes ne puissent pas en profiter ! »

Commentaires

Sources :

Interview de Ariera Hurahutia dit Napatu en 1979 par Teiva Linge.
Photos Coll. Moanaura Walker