Le héros polynésien Tafa’i accomplit deux grands exploits, le premier d’immobiliser le grand poisson Tahiti Nui et le second d’explorer le royaume des ténêbres, le Pô, pour y ramener son père Hema.
L’arrivée de Tafa’i au royaume des ténèbres
Hina-tahutahu , la mère de Tafa’i consentit à lui montrer le chemin vers le Pô. Son frère Arihinuiapua voulut l’accompagner malgré les dangers, car il éprouvait des remords en pensant qu’il avait avait poussé son père à quitter ce monde. Hina-tahutahu obligea la terre à s’entr’ouvrir pour livrer passage aux audacieux voyageurs et ceux-ci descendirent par un étroit passage souterrain. Après avoir longtemps cheminé, le couloir s’élargit en une vaste place et ils arrivèrent à une maison qui était habitée par une vieille femme aveugle nommée Uhi (Ufi, Igname).
Arihinuiapua n’étant qu’un faible mortel souffrait de la fatigue et de la faim ; ils entrèrent sans bruit dans cette maison où ils trouvèrent Uhi qui préparait son repas en marmottant. Elle plaça devant elle deux morceaux de uru (fruit de l’arbre à pain), deux portions de taro, deux paquets de pota (feuille de taro), deux bols remplis de lait de coco et deux récipients contenant de l’eau, puis elle se mit à manger.
Mais Arihinuiapua qui avait très faim prenait une portion de chacun des mets qui se trouvait devant elle et la mangeait aussitôt. Aussi, lorsque Uhi voulut se servir une seconde fois, elle ne trouva plus rien et elle s’écria: « Quel est ce vermisseau qui est venu ici, dans le royaume des ténèbres, le Pô ? »
– « C’est moi Tafa’i. »
L’hameçon piégé
– « Ah, asseyez-vous d’une manière confortable » dit la vieille et en même temps elle leur offrait un siège couvert de plumes rouges. Mais Tafa’i fit signe à son frère de ne point le toucher, car c’était un hameçon magique attaché par une corde enchantée. Uhi prit alors le hameçon et le lança. Tafa’i l’évita, mais Arihi fasciné par la beauté de cette femme le ramena et quand elle tira la corde il fut accroché sous le bras. Il résista de toutes ses forces courant en cercle autour de la vieille qui le tirait à elle.
Emu de pitié en voyant son frère dans cette triste situation, Tafa’i cria : « Oh, Uhi, lâche ton poisson, de peur du grand requin ! Il est là, son frère, dans la mer ! » Car il y avait des requins et des baleines dans la mer souterraine et une pieuvre gigantesque qui se tenait dans une grotte ornée de conques marines.
Mais Uhi répondit d’un ton triomphant: « Il ne bougera pas. Le nom de mon hameçon est Puruitemaumau, quant à ma ligne c’est le Requin du firmament (Le Requin dans la voie lactée). Ce n’est pas celle de Hina (La Hina était la jeune Mi, qui donna ses cheveux à son frère Maui pour amarrer le soleil)
Tafa’i saisit alors la ligne et délivra le prisonnier.
Tafa’i sort son père Hema du royaume des ténèbres
La vieille sentant que son hameçon était détaché s’écria: « Ah! Il y a ici un homme de valeur, peut-il me rendre la vue ? »
– « Je puis te la rendre » répondit Tafa’i et prenant un coco il en jeta le contenu dans les yeux de Uhi qui recouvra instantanément la vue. Elle put voir alors les jeunes gens et leur témoigna sa joie et sa reconnaissance, leur demandant quel service elle pourrait leur rendre, en échange de sa guérison.
Tafa’i lui demanda ce qu’elle savait de leur père et en quel endroit il était détenu. Uhi leur dit que Hema était plus loin, dans une forêt où les dieux jetaient leurs immondices. Ils lui avaient arraché les yeux et les avaient donnés comme jouets aux jeunes filles qui tressaient des nattes pour les orateurs. Puis ils avaient rempli ses orbites d’excréments d’oiseaux. Elle chargea deux de ses petits serviteurs de les accompagner gens pour aller à la recherche du pauvre homme.
Tafa’i et son frère marchèrent longtemps et arrivèrent enfin à une région boisée où après quelques recherches ils trouvèrent le malheureux Hema. Sans perdre de temps, Tafa’i le saisit dans ses bras vigoureux et l’emporta avec toute la rapidité dont il était capable. Et, avant que les dieux n’aient pu s’apercevoir de cet enlèvement, les trois fugitifs quittèrent les régions souterraines et revinrent sains et saufs à la lumière du monde supérieur. Tafa’i lava le pauvre Hema, le vêtit et le nourrit et, bien que toujours aveugle, celui-ci vécut longtemps encore, heureux avec sa femme et ses enfants.
Sources :
Teuira Henry, Légende de Tafa’i recueillie par Madame Walker. Tahiti aux temps anciens Société des Océanistes 1962, p 577
Légende de Tafa’i, traduite par Edouard Ahnne. Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes n°52 p 406
Pouira a Teauna dit Teraupoo : Parau Tumo no Tafa’i
La version tahitienne de Tafa’i (ou Tawhaki) traduite par A. Leverd, The Journal of the Polynesian Society 1912. Vol. 21 n°1