Selon la conception polynésienne du monde, les âmes des défunts s’envolaient dans une zone situés à la pointe nord-ouest des îles, appelée rereraa varua, ou point d’envol des âmes.

L’âme demeurait trois jours avant de partir

Jadis les tahitiens croyaient qu’après la mort naturelle, l’âme demeurait trois jours dans le corps du défunt avant de partir… Les initiés prétendaient qu’il leur était possible de voir l’âme prendre son envol, de décrire son aspect ainsi que celui des autres âmes qui l’accompagnaient. Heva, le dieu de la mort et les esprits des ancêtres, attendaient près du corps pour saisir l’âme dès qu’elle quittait le corps pour la conduire vers l’au-delà (le en reo tahiti).

Le , la résidence des dieux et des esprits serait divisé en un paradis et un enfer, le Rôhutu no’ano’a et le Pô auahi, suivant une conception étrangement proches de celles des religions contemporaines.

Seules les âmes des personnes mortes de mort violente ou qui ont commis des fautes lors de leur vie terrestre continuent à errer sans but autour du lieu fatal en harcelant les vivants. Ces esprits errants, appelés chez nous tupapa’u, sont bienveillants ou mauvais suivant la nature de la personne dont ils émanent.

Les causes du décès

Aussitôt après la mort, un tahuâ tutera était chargé de découvrir la cause exacte du décès. D’après le missionnaire William Ellis, le prêtre prenait sa pirogue et pagayait doucement le long du rivage près de la maison où était exposé le corps, pour surveiller le passage de l’âme qui devait s’envoler avec un signe qui expliquerait les causes du décès. Si le mort avait été maudit par les dieux, l’âme apparaissait avec une flamme, si par contre il avait été pifao (envoûté), son âme exhibait alors une plume rouge.

Des points d’envol des âmes dans chaque île

La pointe nord-ouest de chacune des îles de Polynésie est généralement réservée pour l’envol des âmes. Appelée Ke-Kaa (l’équivalent de Te-Taa, ou Ta-Taa) sur l’île de Maui (Hawaii), elle est plus souvent nommée Te-Rei-A-Varua, Rere-A-Varua, avec toutes les variantes linguistiques propres à chaque archipel : Renga-Vaerua à Mangaia (Cook Islands), Reinga-Wairua au Cape North (Nouvelle-Zélande), Leina Kauhane à Ka’ena (Oahu), Te Rerega à Mangareva (Gambier) notamment.

Les pointes situées au nord-ouest des îles de la Société sont abrégées aujourd’hui en Terei’a, comme celles situées dans la commune de Fitii (Huahine), de Patio (Tahaa), de Tevaitapu (Bora-Bora), de Taatoi (Maupiti), ou portent un nom lié à l’envol des âmes, comme Ti’a Ma’ue sur le motu Tiaraaunu à Tetiaroa. Toujours respectés par la population locale, tous ces lieux ont, jusqu’à ce jour, conservé leur état naturel.

L’absence de structures éthiques construites de main d’homme tels que marae, ou paepae témoigne de la volonté de réserver ces lieux à l’usage exclusif des âmes en partance. Cette « virginité » affirme ou confirme l’extrême sacralité du lieu, un lieu si sacré que l’homme n’ose pas y apposer sa trace. En effet, ces lieux ne font pas partie de Te Ao (le monde matériel, visible) mais de Te Pô (le monde immatériel, invisible).

Des témoignages sur l’au-delà

Selon la tradition orale deux personnes auraient décrit le Pô après y avoir séjourné :

  • Le premier est le célèbre héros polynésien Tàfa’i, fils d’un être humain et d’une déesse originaire du Pô. Il réalisa plusieurs exploits dont l’exploration de l’au-delà, afin de ramener son père dans le monde des vivants.
  • Le second est Pai, fils d’un chef assassiné par des meurtriers sanguinaires, que sa mère confia aux dieux pour qu’ils le protègent des menaces de mort pesant sur sa famille et sa descendance. Ils devinrent ses pères nourriciers et Pai grandit dans le Pô. Mais en raison du chagrin de sa mère dû à son éloignement, il retourna dans le monde qui l’avait vu naître, celui des mortels, et apporta des descriptions étonnantes de l’au-delà. Un monde similaire par bien des façons à celui observé sur Terre.

Rôhutu no’a no’a, le paradis

Les témoignages recueillis par le missionnaire William Ellis, au début du 19ème siècle, s’accordent sur la conception polynésienne du paradis. Il en donne un aperçu dans son ouvrage, A la recherche de la Polynésie d’autrefois :

« Ce Rôhutu no’a no’a, littéralement Rohutu parfumé ou odoriférant, était tout à fait un paradis mahométan (…). Le pays était décrit sous des apparences merveilleuses et enchanteresses. Il était paré de fleurs de toutes formes et de tous coloris, et parfumé des senteurs les plus agréables. L’air n’y était pas pollué, mais pur et sain. Tous les genres d’amusements auxquels des Areoi et d’autres classes privilégiées avaient été habitués sur la terre étaient là, à leur disposition. Des viandes choisies et des fruits précieux leur étaient servis en abondance au cours de somptueux festins. De beaux adolescents et de jolies femmes, purotu anae, tous absolument parfaits, se pressaient en ces lieux. Ces honneurs et ces délices étaient réservés aux ordres privilégiés, parmi les Areoi et les chefs, à ceux qui avaient les moyens de payer les prêtres pour obtenir leur passeport vers l’au-delà… »

Bien au contraire, en s’avançant vers l’enfer, le Pu-ô-ro’o-i-te-Pô royaume du dieu Ta’aroa, les âmes connaîtraient un avenir plus obscur, loin des vallées verdoyantes où se multiplieraient les arbres fruitiers. Dans les ténèbres embrumées, les âmes seraient asservies et torturées par les dieux y ayant élu domicile, vivant dans l’obscurité et soumises à un supplice continuel… »

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Sources :

Association Rohutu No’ano’a, Tataa, vahi rereraa varua i te Pô, www.rohutu.com
William Ellis, A la recherche de la Polynésie d’autrefois, Société des Océanistes 1974.
Air Tahiti Magazine « Les sentiers de l’au-delà »
André Leverd, Croyances relatives aux âmes et à l’autre vie chez les polynésiens. Bull SEO n°248