Robert Taumihau, 76 ans, nous raconte comment son grand-père Tearii fabriquait de la chaux dans le four à chaux familial du quartier Taputuarai à Punaauia. Une opération délicate et pénible et un travail rude et toxique.

Le four à chaux de mon grand-père 

Au plus loin que je me souvienne, j’ai toujours vu mon grand-père, Tearii Taputuarai, propriétaire de la terre, fabriquer de la chaux. Moi-même j’y ai travaillé depuis son enfance. Je ne connais pas la date de construction du four, mais je sais qu’il a fonctionné jusqu’en 1957.

Le quartier Taputuarai, situé coté montagne vers le rond-point de la Marina Taina, était à cette époque une magnifique sortie de vallée plantée de cocotiers et occupée par deux maisons proches de la route actuelle. Les cochons s’y promenaient librement ainsi que six chevaux de trait. Ma famille habitait là avec deux ou trois travailleurs. Mon grand-père avait acheté la terre une première fois à un certain M Bonnet. L’avocat Lusker, qui pourtant avait reçu les fonds, n’a jamais réglé le propriétaire. La famille fut obligée de racheter la terre une seconde fois aux enchères, quelques années plus tard. Mon père avait choisi une autre activité mais le four faisait vivre la famille entière et les travailleurs.

PS : Le mode constructif du four à chaux de Punaauia, est proche du four de Sainte-Amélie, des murs de l’ancien hôpital Vaiami ou des fortins de la Punaruu. La gueule du four est identique à celle du four de Sainte-Amélie.

Plusieurs jours pour réunir les matériaux

Durant plusieurs jours, il fallait réunir les produits nécessaires:

  • Les troncs de cocotiers de la vallée, abattus, coupés et séchés bien avant, étaient tractés par les chevaux au flanc de la colline pour être chargés par le haut du four.
  • Le charbon de terre, était acheté en ville car ayant plus de pouvoir chauffant que le charbon de bois local.
  • Ramasser des niau (feuilles de cocotiers), qui servait à amorcer le feu, et aller chercher des coraux dans le lagon en face.
  • Surveiller l’arrivée de Farani, le chauffeur de truck Tahitien au teint clair, qui remontait de Papara avec son chargement de coquilles de pahua (Bénitiers).

Pour fabriquer de la chaux il fallait aussi disposer d’eau. Heureusement le terrain comptait deux sources. Celle en bord de route est toujours là.

Lorsque tout était réuni et que le stock de touques de chaux baissait à 5 ou 6, (Une touque contenant 200 litres de chaux.), le grand-père lançait un chargement.

Four à chaux de Punaauia. Photo Yann Gonsalez

Four à chaux de Punaauia. Photo Yann Gonsalez

Croquis du chargement du four, par Robert

Croquis du chargement du four, par Robert

Remplir le four, une opération délicate et pénible

Tout se faisait à la main par l’intermédiaire d’un treuil suspendu à la verticale du centre de four. Un homme descendait, c’était souvent moi (Robert), et commençait à organiser l’intérieur du Four avec précision.

Une première couche de niau séché servait d’amorce à un plancher, constitué de troncs de cocotier placé de façon à occuper toute la circonférence. Sur ce plancher étaient étalées, une couche d’environ 50 cm de charbon de terre, seul matériau acheté, et une couche de coraux, également de 50 cm environ. Puis un second plancher de troncs de cocotier était réalisé avec de nouvelles couches de charbon et de pahua. Un troisième plancher viendra le recouvrir et ainsi de suite jusqu’au sommet du four.

Il fait déjà très chaud pour celui qui est dans le four… Commencé à l’aube, le chargement se finissait qu’en fin d’après-midi avec l’allumage.

La fabrication de la chaux, un travail rude et toxique.

Six heures plus tard, le feu était à plein régime et la transformation commençait. Il brûlait toute la nuit, le vent upe se chargeant d’envoyer les fumées vers la mer.

Au matin on extrayait un mélange de résidus de combustion. Il fallait arroser et tamiser la chaux. Les gants et les masques protégeaient un peu les hommes mais le travail était rude et toxique.

Au final, c’est quelques vingt-cinq touques de deux cent litre qui étaient remplies. Elles étaient vendues essentiellement au magasin Donald en ville et servait principalement pour l’agriculture. Une part importante servait à la réfection des enduits de façade de bâtiments publics ou religieux.

Quelques semaines après l’interview, le four a été rasé pour laisser la place à une construction. C’est une page d’histoire qui s’est définitivement tournée.

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Sources :

Histoire de Robert du quartier Taputuarai à Punaauia recueillie en 2013 par Yan Gonsalez. Matériaux locaux en Polynésie : Histoire du four à chaux de Punaauia.