Hina, la redoutable cannibale de Rurutu, dessinait sa vie dans la roche et l’ombre. Mais c’est grâce à elle que l’art du tressage local s’est enrichi d’un geste devenu légendaire.
La cannibale qui refusait la civilisation apportée par l’Évangile
Lorsque les missionnaires arrivèrent à Rurutu, l’île découvrit une femme farouche qui rejetait avec force tout ce que l’on tentait d’appeler civilisation. Hina, déjà connue comme une cannibale redoutée, vivait isolée dans une grotte secrète où elle refusait aussi bien les vêtements, la nourriture nouvelle que les règles imposées par ces étrangers venus prêcher une autre manière de vivre.
Retranchée dans la montagne, près du Taatio, elle se cachait dans la grotte Rua o ‘Ina, que les habitants appelaient simplement « le trou de Hina », comme si ce nom suffisait à faire frissonner les cœurs.
Les disparitions qui plongèrent Rurutu dans la peur
L’ombre d’une cannibale plane sur l’île
Avec le temps, les habitants de Rurutu furent confrontés à une série de disparitions mystérieuses qui bouleversèrent la vie du village. Des enfants, puis quelques adultes, s’évanouissaient sans laisser la moindre trace, et même les recherches les plus tenaces ne rapportaient ni corps ni signe d’espoir.
Les jours passèrent, et les familles endeuillées, malgré leur douleur, durent apprendre à vivre avec ce vide étrange qui s’installait peu à peu dans leur quotidien.
On disait qu’un enfant envoyé seul dans la montagne pour couper des roseaux ne revenait presque jamais, tandis que trois enfants voyageant ensemble revenaient toujours sains et saufs, comme si leur nombre suffisait à repousser une menace invisible. Les adultes n’étaient pas plus à l’abri, mais personne n’osait imaginer qu’une cannibale puisse encore exister parmi eux.
Cependant, Hina continuait d’agir dans le secret, se nourrissant d’êtres humains pendant que le mystère, faute de réponses, s’installait comme une ombre durable sur l’île. Les villageois finirent par s’habituer à cette peur silencieuse, et, au fil des années, les disparitions cessèrent d’être une urgence pour devenir une fatalité.
Une lueur étrange dévoile la vérité
Un soir, alors qu’un groupe de pêcheurs cherchait des mana’a (Ruvettus) dans la nuit calme, l’un d’eux aperçut une lumière inhabituelle sur la montagne. Il s’agissait d’une faible lueur, trop persistante pour être une simple cigarette, et trop douce pour être un feu de broussaille.
Intrigués, les hommes observèrent plus attentivement, essayant de comprendre ce qui dansait ainsi au-dessus d’eux. Finalement, ils décidèrent de monter sur la montagne afin de percer le mystère.
Une fois sur place, ils découvrirent un trou profond. En éclairant l’intérieur, l’un d’eux distingua une forme humaine repliée dans l’ombre et, saisi par la panique, s’écria qu’ils étaient tombés sur un diable.
Cependant, un envoyé du village prit le temps de regarder avec plus de soin, et il déclara que ce n’était ni un démon ni un homme, mais bel et bien une femme.
Ils venaient de retrouver Hina, la mystérieuse cannibale qui hantait leurs peurs.
La capture de Hina, la cannibale de la grotte Rua o ‘Ina
Les villageois, désormais certains de son identité, durent réfléchir au moyen de capturer cette femme sauvage qui vivait à l’écart de tous. Ils décidèrent d’utiliser des filets tressés en bourre de coco et en fibres de purau (Hibiscus taliacus), espérant ainsi la piéger sans risque.
À la tombée de la nuit, ils allumèrent des feux à l’entrée de la grotte, puis projetèrent des flammèches à l’intérieur afin de la faire sortir.
Hina se leva finalement, attirée par la lumière et irritée par les étincelles. Elle tenta de fuir, mais un bond la projeta droit dans le filet tendu pour elle. Bien qu’elle essayât de trancher les fibres grâce à ses longs ongles, les hommes réussirent à la saisir et lui attachèrent les mains derrière le dos avant de l’emporter à Avera.
Là-bas, on lui coupa ses ongles, considérés comme ses véritables armes, puis on l’enferma les pieds pris dans un tronc de cocotier, comme le voulait l’ancienne méthode d’emprisonnement.
Une cannibale aux talents insoupçonnés

Tressage de peue (tapis) en pae’ore (feuilles de pandanus). Photo Olivier Babin
Malgré les tentatives des habitants pour la nourrir et la civiliser, Hina refusa de manger. Ils comprirent vite qu’elle ne pouvait se nourrir que d’êtres humains et qu’aucune nourriture traditionnelle ne l’aiderait à survivre.
Elle resta ainsi, silencieuse et immobile, jusqu’à ce que la faim l’emporte, sans jamais répondre aux villageois ni tenter de s’intégrer à leur monde.
Dans sa grotte, ils découvrirent pourtant un autre visage d’elle : le sol était recouvert d’objets tressés avec une finesse incroyable. Les femmes de Rurutu, fascinées par ces œuvres, apprirent à les imiter et perpétuèrent l’art du tressage inspiré par celle que l’on nommait la cannibale aux doigts de fée.
L’héritage de la femme cannibale de Rurutu
Aujourd’hui encore, l’histoire de Hina résonne dans les vallées et les rochers de Rurutu. Son destin tragique et ses talents silencieux ont laissé un héritage précieux : celui d’un art qui continue de vivre entre les mains des femmes de l’île.
Ainsi, la légende de cette cannibale demeure, mêlée de peur, de mystère et de beauté, comme une ombre qui flotte toujours au-dessus de la montagne.
NB : La mama sur les photos n’est évidemment pas la cannibale !
Légende de Hina, la femme cannibale de Rurutu en langue tahitienne : Te vahine taehae ‘e te rima raverave nō Rurutu
Sources :
Pierre Verin, L’ancienne civilisation de Rurutu – ORSTOM 1969
Taaria Walker (dite Pare), Rurutu, Mémoires d’avenir d’une île Australe – Papeete : Haere Po, 1999.
Photos Olivier Babin
IA 07 déc 2025





