La rivière Taharu’u de Papara était alors emprisonnée dans un étang par des démons, et deux femmes cannibales qui habitaient sur le barrage étaient chargées de garder ses eaux prisonnières. Il était dit que le sort ne pourrait être brisé et les eaux libérées que par un homme qui plongerait du haut de la montagne. De nombreux ‘aito avaient essayé et péri dans l’entreprise, puis vint, un jour, le tour de Honoura.

Le ‘aito Honoura

Pour se rafraîchir le géant Hono’ura décida d’aller plonger du haut d’une montagne voisine la Mou’a Tamaiti, dans la rivière de Taharuunui ite Amaamamanu. J’irai Näue dit‑il. (Se laisser tomber dans l’eau les jambes croisées sous le postérieur et faire ainsi gicler l’eau de chaque côté). II y avait, pour se jeter dans la rivière, trois étages à la paroi de la montagne : un premier situé à mi‑hauteur, Te Haaporiraa, un deuxième près de la crête de la montagne, Te Faahuahua, et un troisième, Te Taputö qui partait du sommet de la montagne. Les géants avaient coutume de venir plonger en se jetant du haut de la montagne et comme la hauteur était grande, il leur arrivait de se tuer en tombant. Alors les sorcières s’emparait des cadavres et brûlaient les os devant leur case. Elles se délectaient à l’odeur des ossements brûlés et c’est pour satisfaire ce goût qu’elles étaient venues habiter les bords du lac.

Honoura grimpe au troisième niveau

Tenant un bouquet de ‘auti (Cordyline)(photo ci contre) dans une main et une grande feuille de ‘o’aha (fougère nid d’oiseau) dans l’autre, Honoura commença l’ascension de la montagne.

Arrivé au premier escarpement, il lança dans l’eau la feuille de ‘o’aha. Au bruit de la chute, Tauauri dit à l’autre sorcière : « Va donc voir qui est tombé ». La ruahine revint et dit: « Ce n’est rien, c’est une feuille de ‘o’aha ».

Arrivé au deuxième escarpement Hono’ura lança son bouquet de ‘auti, l’eau gicla jusque sur la case des sorcières jumelles. Tauauri vint voir puis rentra en disant: « ‘Aita, ce n’est rien, c’est un bouquet de ‘auti ».

Tauatea et Tauauri se mirent à narguer Honoura en lui disant ceci en tahitien. “E rarahi ta’ata no iripau, e’ita e pa’u i te vai hohonu, e vai papa’u e pa’u e. Haere atu ‘oe, e’ita maua e pa’ia e toe ivi maro.” (“Vous êtes grand, mais nous n’allons pas nous rassasier de corpulence squelettique”).

Hono’ura arriva alors au sommet de la montagne, il appela les sorcières et leur dit : « Déplacez votre maison sur la montagne, car je vais sauter et l’eau va vous emporter ».

« Qui es-tu pour nous parler ainsi, taata ‘i’o ‘ore (homme de peu de chair), le moindre vent te courbera comme une feuille de ‘ape (Alocasia, Oreille d’éléphant). Mämü (Tais-toi) ! »

«Si vous ne voulez pas être noyées, emportez votre maison » vous dis‑je.

Elles ne répondirent pas, le considérant avec dédain.

Auti
Fougère O'aha, Tahiti
Ape. Alocasia

Ape, Oreille d’éléphant, Alocasia

Le plongeon explosif

Du Taputö, Honoura se jeta dans le vide. Arrivé au milieu de sa chute, il se retourna, croisa les jambes pour vraiment näue et pénétra dans l’eau qui fusa en deux énormes gerbes d’eau.

Honoura nageait déjà lorsque la vague qu’il avait causée vint frapper la montagne dont le flanc s’écroula dans le lac, celui-ci déborda emportant à la mer tout ce qui était sur ses rives. Le géant parvint à se dégager du courant. Mais les ruahine, ainsi que leur maison, furent entraînées jusque dans le bleu de l’océan.

Hono’ura s’étant dressé sur ses jambes, aperçut les deux naïades qui nageaient au milieu des débris que la rivière avait emportés. Il les attrapa et les déposa sur la terre ferme. Mais elles étaient tellement effrayées qu’elles se pétrifièrent en deux énormes rochers, un noirâtre qui s’appelle Tauauri et l’autre blanc, Tauatea.

Deux pierres bien précieuses aux yeux des habitants de Papara.

La pierre blanche Tauatea à l’embouchure de la Taharu’u

La pierre blanche Tauatea à l’embouchure de la Taharu’u

Le rocher Tauarii vers la carrière de la Taharu'u

La pierre noire Tauauri près de la carrière

Tahiti Heritage à la recherche des pierres perdues

Dans les années 2000, en recensant le patrimoine de Papara, nous avons cherché longuement ces deux rochers en parcourant les rives de la rivière Taharu’u et en interrogeant les riverains.

L’emplacement approximatif du rocher blanc Tauatua a été rapidement trouvé car plusieurs anciens du Comité des sages de Papara connaissaient son existence « à l’embouchure de la Taharu’u ». Il a été par contre plus difficile de le voir pour le localiser précisément car il se cache sous l’eau au milieu des vagues, à une profondeur de 1,50 m environ. Il a fallu attendre une marée particulièrement basse pour le voir émerger dans le creux des vagues. Ce rocher est bien connu des surfeurs qui viennent y prendre pied. S’ils savaient qu’ils piétinent une sorcière pétrifiée, ils éviteraient de trop s’y frotter.

Le rocher noir, rocher Tauarii, était introuvable. Si les anciens connaissaient son histoire, personne ne l’avait réellement vu.  C’était d’autant plus délicat que le cours de la rivière Taharu’u avait été déplacé et que la carrière de Papara des années 60 avait bien perturbé le site. Enfin, au bout de plusieurs mois, et après avoir examiné un certain nombre de rochers, un habitant nous a appelé pour nous dire que son grand père lui avait conté l’histoire de ce rocher qui se trouve dans sa cour près de la carrière, pas très loin du lit de la rivière Taharu’u. Il était complètement enfoui dans la végétation comme pour se protéger.

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Sources :

VAIRAA Taverio TERAITUA, BABIN Olivier, TUMAHAI Jean-Claude. 2000
Robert Louis Stevenson. Two Tahitian Legends : Of the Making of Pai’s Spear. London 1891. Longman’s Magazine Vol 19.
Pasteur Teraitua , Légende de Honoura i te pii marina. – Bulletin des Etudes Océaniennes n°21 – octobre 1917
Teuria Henry. Tahiti aux temps anciens. Société des océanistes Paris 1962. p 602
Robert Louis Stevenson. De l’origine de la lance de Pai. 2013. Bull n°328 de la société des Etudes Océaniennes.