La légende de Terehe appartient aux récits fondateurs les plus précieux de la Polynésie. Elle porte l’écho des anciens temps, où les dieux, les hommes et les montagnes partageaient le même souffle. Aussi appelée légende de Tahiti Nui, elle raconte comment un immense poisson jailli des profondeurs façonna les îles telles qu’on les connaît aujourd’hui.

Le grand Havai’i, mère des îles

Bien avant que Raiatea et Taha’a ne deviennent deux terres distinctes, elles formaient une seule île majestueuse : le grand Havai’i. Terre sacrée, cœur battant de la cosmogonie polynésienne, Havai’i résonnait des prières et des gestes des prêtres qui y érigèrent un nouveau marae.
Pour purifier l’espace, ils imposèrent un tapu strict : aucun rire, aucun chant, aucun aboiement ne devait troubler l’air sacré. Même les dieux semblaient retenir leur souffle.

Terehe, la beauté qui brisa le silence

Mais la jeune Terehe, fille de la royauté et reconnue pour sa beauté lumineuse, brisa sans le vouloir cet interdit. En se baignant dans la rivière, elle rompit le silence sacré. Les dieux, irrités par cette désobéissance, firent surgir des profondeurs un tunapu, une anguille gigantesque. D’un mouvement fulgurant, elle engloutit Terehe.
Pourtant, l’âme de Terehe ne demeura pas silencieuse. Elle tourmenta l’anguille, la faisant bondir, tournoyer, arracher arbres et roches sur son passage. En dévorant le centre de l’île, le monstre ouvrit un large détroit, séparant pour toujours le grand Havai’i en deux îles : Raiatea et Taha’a

Quand l’anguille devient poisson et prend le nom de Tahiti Nui

L’anguille, grandissant encore, se mua en un poisson gigantesque, prêt à parcourir l’océan. Le dieu Taaroa, voyant son agitation, envoya le grand prêtre Turahunui pour guider la créature vers la destination que lui réservaient les dieux.
Ce poisson sacré prit alors le nom de Tahiti Nui.

Le héros Tafa’i-upo’o-tu et la hache sacrée

Arrivé en un lieu où il devait être libéré, le poisson Tahiti Nui demeura prisonnier de liens invisibles que nul guerrier ne parvenait à briser. Seul Tafa’i-upo’o-tu, héros au cœur pur, entreprit le voyage jusqu’à Tubuai pour obtenir la hache sacrée du grand chef Marere Nui.
La hache, trop lourde pour être maniée, se refusait à tous les hommes. Mais grâce à l’intervention bienveillante de Tinorua, maître des courants et des profondeurs, elle devint légère comme le vent.
C’est ainsi que Tafa’i-upo’o-tu put enfin libérer le géant des mers.

La métamorphose finale : la naissance de l’île de Tahiti

Une fois affranchi, le poisson se transforma. Sa peau devint terre, ses nageoires montagnes, son souffle le vent qui caresse encore les falaises.

Ainsi naquit Tahiti, île-poisson, île-mythe, île-âme.

Une légende qui continue de respirer

La légende de Terehe n’est pas seulement un récit ancien : elle est une manière poétique de comprendre la relation profonde entre les Polynésiens et leurs îles. Elle rappelle que la terre est vivante, qu’elle surgit du divin, qu’elle porte des histoires, des métamorphoses et des mémoires.
Et lorsque le vent descend des crêtes de l’Orohena ou que la lumière danse sur les flots de Moorea, il semble murmurer encore :

« Je suis Tahiti Nui, née du poisson des dieux. »



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Sources :

Légende de Terehe, récitée en 1822 et 1824 par le roi Pômare Il, par Mahine et Tamera. Tahiti aux temps anciens pp.454-56
Archives Tahiti Heritage
Légende de Terehe, dîte de Tahiti Nui en tahitien :  ’Ā’ai nō Terehe, pi’ihia Tahiti Nui
Illustration Sarahina
MT – IA 19/11/2025